- Edito N°50 - La politique comme création d’ambiances | Politics as the creation of ambiances, Dominic Desroches
- Edito N°49 - Un atelier hispano-scandinave sur l'atmosphère | A Spanish-Scandinavian Workshop on Atmosphere, Carsten Friberg et al.
EDITO N°50
01/10/2012
Dominic Desroches
PhD, Montréal, Québec. Auteur de plusieurs articles sur Peter Sloterdijk et le temps politique. Membre du nouveau Centre de recherche sur l’éthique publique et la gouvernance (Saint-Paul University, Ottawa, Canada).
PhD, Montreal, Quebec. Author of numerous articles on Peter Sloterdijk and political of time. Member of the new Research Centre in Public Ethics and Governance (Saint-Paul University, Ottawa, Canada).
La politique comme création d’ambiancesDans un article publié dans un collectif, le philosophe allemand Peter Sloterdijk examinait les conditions ayant mené à la démocratie1. Selon lui, ce régime politique doit être compris comme une invention atmosphérique qui est d’origine spatiale et médiatique. Il repose sur la capacité de créer des « salles d’attente » (waitings rooms). Voyons ici pourquoi. La communauté démocratique repose, en effet, sur des prémisses atmosphériques. Aux yeux de Sloterdijk, la démocratie a partie liée avec le développement de l’architecture. Afin d’illustrer sa thèse, il a recours à la métaphore du Palais de cristal2 pour rappeler la première construction climatique. Les plantes, ajoute-t-il, appartiennent aussi à l’ambiance des constructions humaines. Les hommes appartiennent à l’« environnement », de même la maison écologique aurait peut-être des précurseurs chez les penseurs de la polis grecque, notamment Aristote, et les dessinateur des villes grecques. Comment expliquer cela ? Le concept de polis (cité) veut que l’on partage, dans un monde « artificiel », c’est-à-dire construit par des hommes, les mêmes parois, les mêmes murs. La polis est une maison écologique au sens psychopolitique : vivre ensemble pour les Grecs, c’était expérimenter une nouvelle manière de concevoir le pouvoir et les lois à l’intérieur d’un espace limité. Les hommes ne sont pas des « citoyens » par nature puisqu’ils doivent se fabriquer le climat nécessaire pour le devenir. Ils doivent construire un espace permettant d’accepter autrui dans la proximité. Le développement de la démocratie impliquait donc une urbanisation spécifique car pour réaliser son idéal, les philosophes devaient réfléchir à la politique en terme d’ambiance, c’est-à-dire aux « conditions psychopolitiques de l’intégration sociale »3. L’originalité de Sloterdijk est entre autres de souligner que, au niveau des conditions pré-politiques, on trouvait déjà l’idée d’espace public. Cet espace public n’est pas seulement la réunion de personnes, mais aussi la construction de l’enceinte permettant la rencontre d’autrui dans la proximité, comme dans le cas de l’agora. Déjà, l’installation devait favoriser la vue des participants afin de créer une sorte d’immersion citoyenne. Il fallait sortir de soi pour imaginer la volonté de tous. L’une des prémisses atmosphériques de la démocratie est cette rencontre - l’installation favorisant une expérience nouvelle et intégrative - entre ceux qui voient et ceux qui participent, entre ceux qui parlent et ceux qui doivent, dans l’attente, écouter. Il y a pour la première fois l’acteur et le spectateur dans la même personne. Or, l’enceinte devait aussi impliquer une acoustique particulière. Elle devait favoriser le discours public, c’est-à-dire le transport du son afin de permettre la discussion. Art de la parole, la démocratie exige d’elle-même une ambiance et une acoustique rigoureuse. Il n’est donc pas accidentel que la démocratie aille de pairs avec le développement de la rhétorique et de la philosophie, c’est-à-dire des savoirs de l’écrit. En effet, parler des choses, mais aussi les capter dans des concepts, voilà ce qu’exige la démocratie et rend possible ses enceintes. La polis devient, en ce sens, le réservoir symbolique des objets du futur débat démocratique. Dans ce contexte atmosphérique, la démocratie n’apparaîtra que lorsque les citoyens seront enfin capables d’entendre des discours d’autrui et de se concentrer sur leur contenu. Elle exigeait des salles d’attente, c’est-à-dire des structures de temporalisation, pour parler comme N. Luhmann. Elle aura exigé des participant qu’ils apprennent à utiliser et gérer le temps, concrètement dans l’attribution des tours de parole et la limitation des longs discours des Athéniens. Ils auront aussi compris l’importance de la synchronicité, de la réciprocité, de la patience et du contrôle de soi (sophrosyne), lesquelles qualités requièrent une atmosphère spécifique. Le régime démocratique, on le voit, appelait de lui-même un entraînement car il a son propre « temps politique », qui est plus long et exigeant que ceux de la monarchie et de la tyrannie. Et si la psychologie grecque repose sur la fierté, le courage ou la force dans le thymós, la démocratie devait s’assurer déjà que la fierté n’allait pas se transposer immédiatement en actions et réactions. Ce régime exigeait des citoyens un certain contrôle de soi impossible sans un rapport nouveau au temps, à l’ambiance, voilà qui donnait une nouvelle extension au thymós. Cette remarque traduit peut-être le caractère révolutionnaire de tout idéal démocratique. Car en régime démocratique, la visée d’égalité ne peut se réaliser que si les conditions atmosphériques le permettent. Contre une tyrannie dans laquelle le thymós est devenu fou, une tyrannie qui ne respecte plus les adversaires, ni le temps de la parole ni celui de la réflexion, la démocratie exige encore un rapport réflexif dans le temps. La démocratie est un art politique de l’atmosphérique, conclut Sloterdijk, puisque là où il n’a pas d’espace compensateur, la peur et la contrainte auront tendance à imposer leurs lois contre la liberté. 1. Sloterdijk, P., "Atmospheric Politics", in Making Things Public – Atmospheres of Democracy (B. Latour and P. Weibel, Ed.). Cambridge, MIT Press, 2005, p. 944-951. 2. Le Palais de cristal (Crystal Palace) est tout d’abord une construction. Il s’agit d’un bâtiment construit pour accueillir la Great Exhibition londonienne de 1851, à Hyde Park. L’édifice intégrait le fer et le verre. C’était une immense « serre » qui, construit en un temps record en raison de l’utilisation de structures préfabriquées, permettait de voir le ciel. En tant que métaphore, le Palais de cristal est pour Sloterdijk l’image de l’économie capitaliste européenne qui a conduit à la mondialisation. C’est enfin le titre d’une partie de Globen, le tome II de sa trilogie, qui sera publiée séparément en français. 3. Sloterdijk, P. "Atmospheric Politics", p. 947. | Politics as the creation of ambiancesIn an article published in a collective, the German philosopher Peter Sloterdijk examined the conditions that led to democracy1. According to him, this political regime must be understood as an atmospheric invention with spatial and mediatic origins. He rests on the capacity to create waiting rooms. Let us understand why. Indeed, the democratic community rests upon atmospheric premises. From Sloterdijk’s point of view, democracy is in part related to the development of architecture. To illustrate his thesis, he resorts to the Crystal Palace2 metaphor to recall the first climatic structure. He adds that plants belong also to the ambiance of human structures. Men belong to the “environment”, even ecological homes may date back to the thinkers of the Greek polis, notably Aristotle and the designers of Greek cities. How can this be explained? The concept of polis (city) necessitates sharing, in an « artificial » world, in other words, built by man, within the same walls. The polis is an ecological home in the psychopolitical sense: to live together according to the Greeks was to experiment a new way of conceiving power and the laws within a limited space. Men are not « citizens » by nature because the climate to become such must be fabricated. They must build a space to allow others within their proximity. Thus, the development of democracy implied a specific urbanization because, to realize its ideal, philosophers needed to reflect on politics in terms of ambiance, in other words, on the “psychopolitical conditions of social integration”3. Sloterdijk’s originality underlines that, from a pre-political condition, the idea of a public space is found. This public space is not only a reunion of people, but also the building of a place allowing the meeting of others in proximity, as is the case of the agora. Already, this installation had to favor the participants’ views in order to create a sort of citizen immersion. We had to go out of ourselves to imagine the will of others. One of the atmospheric premises of democracy is this meeting – a space that favors a new and integrative experience – between those who witness and those who participate, between those who speak and those who must, whilst waiting, listen. For the first time, the actor and spectator are found within the same person. But the structure had to imply a particular acoustic. It had to favor the public discourse, that is to say the transportation of sound in order to facilitate the discussion. With the art of speech, democracy necessitates an ambiance and a rigorous acoustic. It is thus not accidental that democracy and the development of rhetoric and philosophy, that is the knowledge of writing, go hand in hand. In effect, to speak of things and also to grasp concepts, this is what democracy calls for and makes its structure possible. The polis becomes, in this sense, the symbolic reservoir of future democratic debates. In this atmospheric context, democracy appears only when citizens are finally able to hear the other’s discourse and to concentrate on its content. It requires “waiting rooms”, or in other words structures of temporalisation, in N. Luhmann’s words. It will have already called for participants to learn to use and manage time, concretely in the allotment of speaking and the limitation of elongated discourses of Athenians. They will have understood, as well, the importance of synchronicity, reciprocity, patience and self-control (sophrosyne), which are qualities that require a specific atmosphere. The democratic regime, as we see, calls on itself a training because it has its own « political time », which is longer and more demanding than a monarchy and a tyranny. And if Greek psychology rests on pride, courage or force on the thymós, democracy must re-assure itself that pride wasn’t going to transpose itself immediately to actions and reactions. This regime demanded citizens a certain self-control that is impossible without a new relationship to time and ambiance. This is what gave way to a new extension of thymós. This statement translates perhaps the revolutionary character of all democratic ideas. In democracy, indeed, the target of equality can only be realized if the atmospheric conditions allow it. Against a tyranny where the thymós has gone mad, a tyranny that does not respect its adversaries, the length of speech or the reflection, democracy demands a reflective relationship in time. Democracy is an atmospheric political art, concluded Sloterdijk, because where there is no compensatory space, fear and constraint will tend to impose their laws against liberty. 1. Sloterdijk, P., "Atmospheric Politics", in Making Things Public – Atmospheres of Democracy (B. Latour and P. Weibel, Ed.). Cambridge, MIT Press, 2005, p. 944-951. 2. The Crystal Palace is first of all a structure. It is a building which was built to accomodate London’s Great Exhibition of 1851 in Hyde Park. The structure integrated iron and glass. It was an immense greenhouse which, built in record time due to the use of prefabricated structures, allowed the a view of the sky. As a metaphor, the Crystal Palace is, for Slotedijk, the image of the European capitalist economy which led to globalization. It is finally the title of a section of Globen, book II of his trilogy. 3. Sloterdijk, P. "Atmospheric Politics", p. 947. |
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EDITO N°49
30/04/2012
Dr. Carsten Friberg
Professeur adjoint, École d'architecture d'Aarhus, Danemark
Assistant Professor, Aarhus School of Architecture, Danemark
Dr. Guillermo Guimaraens Igual
Dr. Guillermo Guimaraens Igual
Profesor Contratado Doctor (Maître de conférences en CDI, titulaire d'un doctorat). Département de composition architecturale, E.T.S. Architecture. Universidad Politécnica de Valence (Espagne)
Profesor Contratado Doctor. Departamento de Composición Arquitectónica E.T.S. Arquitectura. Universidad Politécnica de Valencia
Dr. Juan José Tuset Davó
Dr. Juan José Tuset Davó
Professeur adjoint, École d'architecture d'Aarhus, Danemark
Profesor Asociado. Departamento de Proyectos Arquitectónicos; E.T.S. Arquitectura. Universidad Politécnica de Valencia
Alter + Action. Un atelier hispano-scandinave sur l'atmosphèreSite Internet : ![]() Photos : © Carsten Friberg Dessins de Hugo Antonio Barros de Rocha Costa, Professeur adjoint, Département d'expresssion graphique architectonique à l'E.T.S. d'architecture. Universidad Politécnica de Valence (Espagne). L'atmosphère est une matière éphémère à travailler. Le concept est aussi vague qu'il est exhaustif. Il est aisé de se faire une idée d'une atmosphère par rapport à des lieux ou à des zones géographiques mais lorsqu'il s'agit d'être plus précis quant à ce qui les caractérise, cela devient beaucoup plus complexe. Si l'on pense aux différences entre une atmosphère méditerranéenne et une atmosphère scandinave, on fera probablement référence à la lumière et au climat, ainsi qu'à l'organisation et à l'utilisation des espaces publics. Mais qu'en est-il lorsque l'on aborde des questions architectoniques plus spécifiques sur les atmosphères méditerranéennes et scandinaves ? En mars, nous avons amené deux groupes d'étudiants en architecture ensemble à Valence (Espagne) pour un atelier sur l'atmosphère : un groupe espagnol (incluant un Italien) de l'E.T.S. d'architecture, Universidad Politécnica de Valence et un groupe danois (incluant des étudiants d'Islande, de Norvège et de Finlande) de l'École d'architecture d'Aarhus. L'idée était de faire travailler les étudiants ensemble à préparer des interventions dans des lieux publics dans l'optique de modifier l'atmosphère du lieu en question. Les interventions étaient liées aux éléments caractéristiques de la ville espagnole. On a pu immédiatement observer que les similitudes entre les étudiants espagnols et scandinaves étaient beaucoup plus évidentes que les différences. Le programme architectural a été établi immédiatement au-delà des différences, qu'elles soient géographiques ou éducatives, l'institution espagnole étant une université technique et l'établissement danois se situant dans la tradition des beaux-arts. Peut-être la communauté immédiate a-t-elle également quelque chose à voir avec le fait que l'atmosphère de l'atelier soit ouverte, curieuse et créative. L'atmosphère, indépendamment de son lien avec l'environnement physique, est, dans une très grande mesure, une question de relations humaines. Le facteur humain a peut-être été l'élément déterminant des interventions. Le projet devant être décidé et réalisé en trois jours, il n'était guère possible de se lancer dans des interventions physiques dépassant de simples objets. L'une des observations faites fut de découvrir à quel point une intervention devait être étonnamment forte pour susciter une réaction des spectateurs1. Il semblait plus facile de créer une interaction lorsque des objets étaient en jeu, même si cela pouvait impliquer une invitation à interagir.Bien entendu, une semaine d'atelier ne fournit pas beaucoup de réponses mais soulève plutôt davantage de questions pour de futures expériences. La réflexion sur les éléments architectoniques plus spécifiques faisant écho aux atmosphères méditerranéennes et scandinaves est susceptible d'attirer l'attention sur l'importance de l'intervention corporelle, à la fois pour son influence sur un lieu et en tant qu'élément de travail sur les atmosphères. Nous réagissons à la présence physique des personnes d'une manière explicite et implicite, dans la mesure où nous communiquons constamment avec les autres et la présence des gens influence fortement l'atmosphère. De même, la présence physique est une manière d'analyser un lieu car elle révèle beaucoup sur la manière dont il est perçu et utilisé et sur la façon dont on peut intervenir dessus, ce qui soulève des questions sur notre manière de percevoir, qu'il s'agisse de la manière dont nous percevons les atmosphères de différents lieux géographiques ou de savoir si nous devons avoir une perception corporelle lorsque nous parlons d'atmosphères, c'est-à-dire par l'action, le déplacement et l'activation de tous les sens. 1. NdT : le terme anglais utilisé dans le texte original était « bypasses » (dérivations, contournements) mais le sens de la phrase laisse penser que l’on a voulu écrire « bystanders » (spectateurs). | Alter + Action. A Spanish-Scandinavian Workshop on AtmosphereWeb site : ![]() Photos : © Carsten Friberg Drawings by Hugo Antonio Barros de Rocha Costa, Profesor Ayudante, Departamento de Expresión Gráfica Arquitectónica at E.T.S.Arquitectura. Universidad Politécnica de Valencia. Atmosphere is an ephemeral matter to work with. Just as inclusive the concept is it can also be very vague. We may easily have an idea of atmosphere related to places or geographical areas but when it comes to be more specific about what characterizing them it becomes much more complicated. Thinking of differences between a Mediterranean and a Scandinavian atmosphere we would probably relate it to something about light and climate as well as the organization and use of public spaces. But what happens when we move into some more specific architectonic questions about Mediterranean and Scandinavian atmospheres? In March we brought two groups of architectural students together in Valencia for a workshop on atmosphere – a Spanish group (including one Italian) from E.T.S. Arquitectura, Universidad Politécnica de Valencia and a Danish group (including students from Iceland, Norway, and Finland) from Aarhus School of Architecture. The idea was to have the students working together on making some interventions in public places that could change the atmosphere of the specific place. The interventions were related to elements typical for the Spanish city. Immediately observed was that the similarities between the Spanish and the Scandinavian students were far more obvious than the differences. The architectural agenda was established immediately across geographical differences as well as educational – the Spanish institution being a technical university and the Danish within a beaux arts tradition. Perhaps the immediate community also is related to the atmosphere of the workshop being open, curious and creative. Atmosphere is, apart from being about the physical environments, very much a matter of human relations.The human element was perhaps the determining part of the interventions. While decided about and performed within three days it didn't leave much room for physical interventions beyond some simple objects. An observation was how surprisingly strong an intervention it took to provoke a response from the bypasses. An interaction appeared easier to create when objects were involved though an invitation to interact may be implied. Of course, a week of workshop does not give many answers but rather raise more questions for future experiments. Reflecting on the more specific architectonical elements responding to the Mediterranean and Scandinavian atmospheres could perhaps draw attention to the importance of the bodily intervention for both what it does to a place and as an element of working with atmospheres. We react to the bodily presence of people both explicitly and implicitly as we are constantly interacting with other people and the presence of people means a lot to the atmosphere. Also, the bodily presence is a way of analyzing a place as it reveals a lot about how it is perceived and used and what can be done to it. This introduces questions of how we perceive; both about how we perceive atmospheres of geographical different places and whether we have to perceive bodily when discussing atmospheres i.e. by acting, moving, and activating all senses. |
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- Edito N°48 - Détection d’ambiances : expériences de mesures d’activité... | Sensing Atmospheres: experiences of electrodermal activity..., Seckin Basturk Friberg
- Edito N°47 - Espaces sensibles et espaces psychiques | Sensitive spaces and psychic spaces, Christophe Bittolo
- Edito N°46 - Qu'entendez-vous par zones calmes ? | What do you mean by quiet areas?, Catherine Lavandier et al.
- Edito N°45 - Le rapport du (cyber) ethnographe urbain à l'ambiance | The report of the (cyber) urban ambiance ethnograph, Nathalie Boucher & Laurence Janni
- Edito N°44 - Un pied dans la ville quand on est presbyacousique | One foot in the city when we are presbyacusis, Faten Hussein
- Edito N°43 - A la croisée des chemins des ambiances... et du Paléolithique... | At the crossroads of the ambiances... and the Upper..., Anne Bertrand-Callède
- Edito N°42 - L’ambiance urbaine dans le skateboard, ou l’animation de la rue... | Urban ambiance in skateboarding, or street entertainment..., Julien Laurent
- Edito N°41 - Comment construire écologique au 21e siècle ? | How do we build ecologically in the 21st century?, Jean-Louis Izard
- Edito N°40 - Dé(s)cor(p)s plastiques | Plastic Body(s), Rachel Thomas
- Edito N°39 - La découverte de la vallée du M’zab par l’architecte... | The discovery of the M’zab valley by architect..., Xavier Dousson
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Détection d’ambiances : expériences de mesures d’activité électrodermaleLe séminaire de l’année dernière organisé par Cost TD08041 et intitulé « Soundscape - Measurement, Analysis, Evaluation »2 à Aix-la-Chapelle, Allemagne, comprenait notamment un exercice de promenade sonore que les participants ont réalisé en deux groupes dans le centre d’Aix-la-Chapelle. Les deux groupes ont emprunté le même chemin mais ont commencé leur promenade sonore à partir de points différents : le premier groupe est parti du centre-ville pour se diriger vers la périphérie tandis que l’autre groupe est parti de la périphérie pour avancer vers le centre. À l’issue de la séance de promenade, des différences surprenantes sont apparues entre les deux groupes concernant leur ressenti des qualités de la ville. Pour mon groupe et moi-même, la place entre l’Hôtel de ville et la cathédrale était très calme ; je pouvais même distinguer les mots d’un couple relativement éloigné de moi. Mon expérience était comparable à celle du calme d’une bibliothèque, mais je me trouvais en plein centre d’Aix-la-Chapelle, entre deux lieux d’intérêt touristique importants. Je me sentais calme, détendu mais éprouvais en même temps une sensation d’ennui, voire un peu de lassitude. En revanche, l’autre groupe est resté occupé au même endroit pendant près d’une heure, prenant plaisir à écouter un orchestre de rue, à observer les gens rassemblés et probablement à danser au son de la musique. Cette expérience personnelle m’a fait remettre en question les techniques et termes que nous employons habituellement pour décrire le bruit et les environnements acoustiques des villes. Et en réponse à cette expérience, une étude préliminaire a été entreprise afin d’explorer les relations spatio-temporelles entre des stimuli physiques (son) et des réactions émotionnelles à ces stimuli dans notre vie quotidienne. Une expérience en situation réelle a été menée, en étudiant les réactions émotionnelles d’un sujet par le biais de l’activité électrodermale (EDA) (également appelée conductivité de la peau), des niveaux sonores et d’auto-évaluations subjectives pendant différentes activités. Dans ce contexte, un sujet a été équipé d’un capteur de variables d’environnement3 et d’un capteur d’EDA4, et transmettait des auto-évaluations en temps réel au moyen d’un smartphone sur une période d’expérimentation de trois jours. Les niveaux de pression acoustique (dB), l’emplacement (latitude et longitude), et les niveaux d’EDA (μS) en temps réel ont été consignés à chaque seconde tout au long de la période de trois jours. De plus, les réactions du sujet à l’environnement en termes d’états émotionnels et de bruit perçu ont été mesurées à de multiples reprises, ainsi que d’autres variables, à l’aide d’un questionnaire en ligne accessible par smartphone. En outre, le participant transmettait également des informations sur l’activité entreprise au moment de la transmission du questionnaire. Les états émotionnels étaient rapportés dans deux dimensions : le calme et la résonance. Le bruit perçu diffère du niveau de pression acoustique par le fait que ce dernier est un paramètre physique tandis que le bruit perçu résulte de l’interprétation des stimuli sonores en fonction de leur caractère acoustique, de leur source, de leur signification et de leur harmonie dans le contexte (Figure1). Les résultats de l’expérimentation indiquent que les niveaux d’EDA et le niveau de pression acoustique mesuré présentaient une corrélation significative. De plus, l’état émotionnel de calme auto-évalué était fortement lié à la fois au niveau réel de pression acoustique et au bruit perçu. Par ailleurs, il existait une cohérence apparente entre le calme auto-évalué et les niveaux d’EDA mesurés (Figure 2). En conclusion, les résultats préliminaires font apparaître des concordances étonnantes entre les mesures subjectives et physiologiques d’émotions fortement associées aux sons de tous les jours, ce qui laisserait entendre que le suivi du niveau d’EDA peut s’avérer un outil précieux pour l’évaluation, basée sur l’émotion, de qualités sensorielles et d’ambiances sonores de notre environnement. En outre, la collecte d’informations spatio-temporelles – subjectives, physiologiques et environnementales – auprès d’experts locaux dans leur cadre de vie réel au moyen de systèmes mobiles sans fil, promet une visibilité unique sur les ambiances urbaines. Néanmoins, afin que les résultats soient plus conséquents et les observations de plus en plus fiables, il est crucial d’élargir l’échantillonnage des participants à l’étude et de poursuivre l’expérimentation. Remerciements L’étude a été menée lors de ma période de visite au Laboratoire Senseable City Lab du MIT. Je tiens à remercier pour leur soutien Carlo Ratti, Rex Britter et Prudence Robinson du MIT Senseable City Lab., Rosalind Picard et Rob Morris du MIT Media Lab. Affective Computing group, ainsi que Luigi Maffei et Massimiliano Masullo du Laboratoire RiAS, SUN. | Sensing Atmospheres: experiences of electrodermal activity measurementsLast years seminar organized through Cost TD08041 entitled “Soundscape - Measurement, Analysis, Evaluation”2 in Aachen, Germany, incorporated a soundwalk exercise that participants carried out in two groups throughout the center of Aachen. Both groups took the same path but started their soundwalks at different points; one group began at the city center and moved towards the periphery, whilst the other group set out from the periphery and walked towards the center. After the soundwalk session intriguing differences emerged between the two groups regarding their experienced qualities of the city. For me and my group, the square between the Rathaus and the Cathedral was very quiet, I could even recognize the words of a couple relatively distant from me. My experience was similar to that of being in a quiet library, but I was right in the center of Aachen between two important, touristic landmarks. I felt calm, relaxed but at the same time bored and maybe a bit wearisome. In contrast, the other group remained occupied at the same location for almost one hour, having fun listening to a street band, observing people gathered and probably dancing to the music. This first-hand experience made me question the techniques and terms that we usually employ to describe noise and soundscapes of cities. And in response to this experience, a preliminary study was undertaken to investigate spatiotemporal relationships between physical stimuli (sound) and emotional responses to it in our daily lives. A real-life experiment was carried out, monitoring a subject’s emotional reactions by means of: electrodermal activity (EDA) (also known as skin conductance), sound levels and subjective self-reports during different activities. Within this context, a subject carried one environmental sensor3 and one EDA sensor4, and submitted self-reports in real-time using a smartphone over a three day experimentation period. Real-time sound pressure levels (dB), location (latitude and longitude), and EDA levels (μS) were logged every second throughout the 3-day period. Furthermore, the individual’s responses to the environment in terms of emotional states and perceived noisiness were measured multiple times along with other variables using an online questionnaire accessed via a smartphone. In addition, the participant also submitted information on the actual activity being undertaken at the time of questionnaire submission. The emotional states were reported in two dimensions; calmness and vibrancy. Perceived noisiness differs from sound pressure level in that the sound pressure level is a physical parameter while perceived noisiness is a result of the interpretation of the sound stimuli as a function of its acoustic character, its source, its meaning and its harmony with its context (Figure1). The results of the experiment indicate that EDA levels and measured sound pressure level had a significant correlation. Furthermore the self-reported emotional state of calmness was strongly correlated with both actual sound pressure level and perceived noisiness. In addition, there was apparent consistency between the self-reported calmness and measured EDA levels (Figure 2). In conclusion, the preliminary results indicate intriguing consistencies between subjective and physiological measures of emotions that were significantly correlated with everyday sounds. This would suggest that EDA level monitoring may prove to be a useful tool for an emotion based assessment of sensory qualities and soundscapes of our surroundings. In addition, gathering spatiotemporal information – subjective, physiological and environmental – from local experts in their real-life setting through wireless mobile devices, promises unprecedented insight into urban ambiances. Nonetheless, in order to draw more substantial results and have increasingly reliable insights, it is crucial to scale up the sampling size of participants within the study and do further experimentation. Acknowledgement The study is conducted during my visiting period at MIT Senseable City Lab. I gratefully acknowledge the support of Carlo Ratti, Rex Britter and Prudence Robinson from MIT Senseable City Lab., Rosalind Picard and Rob Morris form MIT Media Lab. Affective Computing group, Luigi Maffei and Massimiliano Masullo from Laboratory RiAS, SUN. |
1. “About Soundscape of European Cities and Landscapes.” [Online]. Available: ![]() 2. A. Fiebig et al., “Education in Soundscape-A seminar with young scientists in the COST Short Term Scientific Mission ‘Soundscape-Measurement, Analysis, Evaluation’ ” in 20th International Congress on Acoustics, ICA 2010, Sydney Australia, 2010. 3. Sensaris, “Eco Senspod,” Smart Wireless Sensor Solutions, 2011. [Online]. Available: ![]() 4. “Galvanic Skin Response for Measuring Emotions | Q Sensor | Affectiva.” [Online]. Available: ![]() 5. Ming-Zher Poh, N. C. Swenson, and R. W. Picard, “A Wearable Sensor for Unobtrusive, Long-Term Assessment of Electrodermal Activity,” IEEE Transactions on Biomedical Engineering, vol. 57, pp. 1243-1252, May 2010. 6. C. Nold, Emotional Cartography - Technologies of the Self. Wellcome Trust, 2009. 7. R. Cain, P. Jennings, and J. Poxon, “Setting targets for soundscape design: The practical useof a 2-dimensional perceptual space,” in 39th International Congress and Exposition on Noise Control Engineering - Inter Noise 2010, Lisbon, Portugal, 2010. 8. M. Martino, R. Britter, C. Outram, C. Zacharias, A. Biderman, and C. Ratti, “Senseable City,” in Digital Urban Modelling and Simulation, Springer, 2010. |
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EDITO N°47
27/10/2011
Christophe Bittolo
Psychologue, psychanalyste, analyste de groupe, enseignant chercheur associé (LPCP de l’Université Paris Descartes), France
Psychologist, psychoanalyst, group analyst, associate research lecturer (LPCP of the University of Paris Descartes), France
Espaces sensibles et espaces psychiquesSi l’ambiance est une question principalement posée par la recherche architecturale, il n’est pas inintéressant de s’interroger sur la place que cette question occupe aujourd’hui dans le champ de la psychologie clinique. Cette discipline a historiquement centré son attention sur ce qui se passe intérieurement pour un sujet singulier ; mais l’extension des domaines d’application vers les pratiques de groupes (patients, famille, équipe des travail…) a amené les cliniciens et les psychanalystes à développer des conceptions et des méthodologies groupales. Dans ce mouvement, l’attention portée à la vie affective s’est étendue vers une sensorialité partagée, liante, à certains égards « hors sujet », vers une zone « limite » dans laquelle la différenciation opérée par la pensée entre l’espace environnant, la psyché et le corps s’estompe et perd sa pertinence. C’est ici que l’ambiance apparaît et prend toute sa valeur processuelle. La présence de cet éprouvé d’ensemble témoigne tout autant de l’état sensori-affectif d’un collectif qu’elle est mobilisatrice d’effets sur des façons de penser, d’agir et d’être ensemble. La prégnance et l’impact des ambiances dans les institutions hospitalières nous a ainsi amené à en étudier attentivement les évolutions et les ressorts (C. Bittolo, 2007, 2008). Quelles sont aujourd’hui les questions soulevées par la prise en compte de cet éprouvé dans la clinique des groupes ? Si l’on peut reconnaître à la qualité d’une ambiance (conviviale, tendue, distendue…) le pouvoir qu’elle détient sur des processus intrapsychiques et intersubjectifs, son absence relative à un moment donné pose la question des différentes modalités qui, dans la vie d’un groupe, concourent à la régulation d’une sensorialité diffuse. Nous avons ainsi pu souligner que des dynamiques de groupe, des styles tonico-posturaux et moteurs et certains procédés « disjonctifs » avaient le pouvoir de contenir et de réguler les forces en jeu. Une ambiance prégnante et manifeste marquerait sous cet angle une dérégulation ou un débordement de ces différentes modalités intégratives. Parmi ces modalités, le rôle de la forme prise par un groupe interroge son pouvoir de contenance esthésique ; comment l’esthétique d’une forme et l’émotion qu’elle suscite participent-elles à la transformation d’une sensorialité éparse ? Cette question interroge autant le pouvoir attracteur de l’ambiance que l’importance des rythmes.Enfin plus globalement, l’ambiance nous conduit à repenser l’étendue de la vie psychique et des phénomènes inconscients au-delà des « topiques » initialement conceptualisées par S. Freud et les articulations qui existent entre l’architecture interne de la vie psychique et l’espace sensible. Nous voici devant de vastes chantiers dont l’ambiance constitue une précieuse voie d’accès. Bibliographie Anzieu D.,1999, Le groupe et l’Inconscient, Paris, Dunod, 3ème Ed. Bittolo C., 2008, « Les ambiances et leur traitement dans les groupes en institution » in Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe, 50, 2008, p45-53 Bittolo C., 2007, « Introduction à la psychopathologie des ambiances », in E. Lecourt et al., Modernité du groupe dans la clinique psychanalytique, Toulouse, Erès Bion W.R.,1961, Recherches sur les petits groupes, tr. E.L. Herbert, Paris, Puf, 1965 Lewin K.,1947, « La frontière dans la dynamique des groupes » in Psychologie dynamique, Paris, Puf, 1959 Rouchy J.C.,1998, Le groupe, espace analytique, clinique et théorie, Toulouse, Erès Thibault E., 2010, La géométrie des émotions, les esthétiques scientifiques de l’architecture en France, 1860-1950, Wavre, ed. Mardaga | Sensitive spaces and psychic spacesAlthough ambience is an issue raised primarily in architectural research, it is quite interesting to explore the place this issue currently occupies in clinical psychology. This discipline traditionally focused its attention on what occurs inwardly in a singular subject; yet the extension of fields of application to group practices (patients, family, working teams) has led clinicians and psychoanalysts to develop group-based concepts and methodologies. In this movement, the attention paid to affective life has expanded towards a shared, binding sensoriality, “irrelevant” in some respects, towards a “borderline” area, where the boundaries the mind creates between one’s surroundings, psyche and body become blurred and less relevant. This is where ambience intervenes and takes on its full value as a process. The presence of this overall sentiment is as much an indicator of a collective body’s sensory-affective state as it is the generator of effects on how people think, act and behave together. The pregnance and impact of ambiences in hospitals has led us to study closely their evolution and workings. (C. Bittolo, 2007, 2008). What questions are raised today by allowing for this sentiment in the group diagnosis method? While the quality of an ambience (friendly, tense, loose, etc.) can help us recognize the power it has over intra-psychological and intra-subjective processes, its absence relative to a given moment raises the question of the different forms that, in the life of a group, converge to regulate a diffuse sensoriality. So we were able to show that some group dynamics, tonico-postural and motor styles and “disjunctive” processes had the power to contain and regulate the forces at work. From this angle, a clearly pregnant ambience would signal a deregulation or excess of these various integrative forms. Among these forms, the role of the form taken by a group raises questions about its power of esthesic capacity; how do the aesthetic of a form and the emotion it arouses contribute to the transformation of a broader sensoriality? This question addresses the attractor power of the ambience and the importance of rhythms.Finally, on a more general note, ambience leads us to rethink the scope of psychic life and subconscious phenomena, beyond the “topics” initially conceptualized by S. Freud, and the links that exist between the internal architecture of psychic life and sensitive space. A vast area of research lies before us, to which ambience offers a valuable key. Bibliography Anzieu D.,1999, Le groupe et l’Inconscient, Paris, Dunod, 3rd Ed. Bittolo C., 2008, “Les ambiances et leur traitement dans les groupes en institution” in Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe, 50, 2008, p45-53 Bittolo C., 2007, “Introduction à la psychopathologie des ambiances”, in E. Lecourt et al., Modernité du groupe dans la clinique psychanalytique, Toulouse, Erès Bion W.R.,1961, Recherches sur les petits groupes, tr. E.L. Herbert, Paris, Puf, 1965 Lewin K.,1947, “La frontière dans la dynamique des groups” in Psychologie dynamique, Paris, Puf, 1959 Rouchy J.C.,1998, Le groupe, espace analytique, clinique et théorie, Toulouse, Erès Thibault E., 2010, La géométrie des émotions, les esthétiques scientifiques de l’architecture en France, 1860-1950, Wavre, ed. Mardaga |
1. Enseignées dans le cadre du Master de Psychologie Clinique et de Psychopathologie de l’Université Paris Descartes. 2. Il s’agirait de préciser la notion de « forme » parmi les filiations issues du Gestaltisme, des théories de la communication et d’autres théories psychanalytiques sur le fonctionnement des groupes. 3. Notons sur cette question, le travail d’Estelle Thibault (2010). | 1. Taught in the context of the Master’s in Clinical Psychology & Psychopathology of the University of Paris Descartes 2. This means specifying the notion of “form” from the filiations taken from Gestaltism, communication theories and other psychoanalytical theories on how groups function. 3. See Estelle Thibault’s work on this question (2010). |
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EDITO N°46
20/09/2011
Catherine Lavandier
Maître de conférences au laboratoire MRTE de l'université de Cergy Pontoise, France, Acousticienne
Lecturer at the MRTE (Mobility, Network, Territory, Environment) laboratory of Cergy Pontoise University, France, Acoustician
Pauline DelaitreDoctorante au laboratoire MRTE, financée par le réseau R2DS de la région Île de FrancePhD student at the MRTE laboratory, financed by the Île de France (Paris region) R2DS network
Maria Basile
Maria Basile
Maître de conférences au laboratoire MRTE de l'université de Cergy Pontoise, France, Architecte
Lecturer at the MRTE (Mobility, Network, Territory, Environment) laboratory of Cergy Pontoise University, France, Architect
Qu'entendez-vous par zones calmes ?Pour comprendre quelles sont les caractéristiques des zones calmes en milieu urbain, Pauline Delaitre a récemment organisé deux ateliers de concertation dans le cadre de sa thèse. Ces ateliers se sont déroulés à Paris et à Cergy Pontoise et ont regroupé une vingtaine d’habitants au total. La méthode utilisée a été inspirée des « cultural probes », méthode développée par Graver en 1999. Lorsque l’on demande aux citadins : "Où iriez vous chercher du calme ?", les espaces verts sont souvent cités. Mais après quelques échanges, la caractéristique principale qui émerge, au delà de la présence de verdure, est la qualité du lieu à être perçu comme extérieur à l’espace temps urbain. La zone calme permet de s’évader de l’ambiance urbaine : « Je trouve que quand on est avenue de Clichy [à Paris], c’est très bruyant et quand vous rentrez là, vous avez l’impression d’être dans un village ». Pour qualifier une telle zone, la comparaison est très souvent utilisée. Le calme est souvent cité en référence à une autre situation: « [Ce parc] il est plus calme que celui là ». Les zones calmes se remarquent par le changement d’ambiance qu’elles proposent, que ce soit à travers une évolution spatiale ou une évolution temporelle. Plus le contraste entre deux zones ou deux moments est important, plus l'impression de calme est grande : « Une rue moche, bruyante, ce n’est vraiment pas le côté sympa de Pontoise, et là vous êtes dans ce cimetière que par ailleurs je trouve très moche, et pourtant, et bien c'est hyper calme ». Lorsque les sens sont sollicités pour leur fonction d’alerte, une fatigue attentionnelle peut en résulter : « Lorsqu’il pleut, ce n’est pas calme. La pluie rend la chaussée et les trottoirs glissants. La pluie peut gêner la vision des véhicules et peut même masquer certains bruits ». Une zone calme est perçue comme un endroit serein et sans danger qui permet de relâcher l’attention : « Quand je peux le regarder [l’orage] d’un endroit où je me sais en sécurité, ça m’apaise ». Pour être associée au calme, une zone doit être exempte "d’agressions", qu’elles soient visuelles ou auditives: « Le bus, c’est plus calme que le métro. […] Il y a le bruit du métro en lui-même et les sonneries à toutes les stations ». «Il n’y a pas de bruit et pourtant je ne considère pas cet endroit comme calme. Mais c’est parce que visuellement c’est très agressif pour moi ». Le calme permet donc de ressentir des éléments qui peuvent rappeler la nature : « Quand il y a des petits chemins, des jardins, le sol est moins dur. La texture est plus agréable, ça fait penser à des textures de campagne ». Les ateliers ont montré que dans certaines situations le calme peut être inapproprié ou faire peur : « C’est très calme mais c’est un peu mort ». La directive européenne sur la gestion du bruit de l'environnement demande de mettre en place des plans d'action pour préserver ces zones calmes. Ne faudrait-il pas aussi préserver les zones de hautes qualités acoustiques comme le suggère Lex Brown ? En effet, l'animation qui est en général liée à la présence humaine peut être souhaitée, car elle est souvent associée à la notion de partage. Toutes les caractéristiques évoquées ci-dessus doivent maintenant être déclinées en terme d'urbanisme afin d'aider les décideurs à mettre en place leurs plans de prévention du bruit dans l'environnement. | What do you mean by quiet areas?In order to provide a better understanding of the features of quiet areas in an urban environment, Pauline Delaitre recently organised two consultation workshops as part of her thesis. These workshops were held in Paris and in Cergy Pontoise and brought together twenty or so inhabitants in total. The method used was inspired by ”cultural probes”, a method developed by Graver in 1999. When we ask city dwellers: "Where would you go to find peace and quiet?", the answer often given is “parks”. But a little further on into the conversation, the main feature which emerges, beyond the presence of greenery, is the degree to which the place in question can be perceived as being outside the urban time space. The quiet area makes it possible to escape from the urban atmosphere: ”I find that when you are on Avenue de Clichy [in Paris], it’s very noisy and yet when you enter this area, you feel like you’re in a village”. It’s a comparison very often used to describe such an area. The notion of quiet is often quoted with reference to another situation: ”[This park] is quieter than that one”. What’s noticeable about quiet areas is the change in atmosphere that they offer, whether through a change of space or time. The greater the contrast between two areas or two moments is, the greater the impression of quiet is: “An ugly noisy road, it’s not exactly what you’d call the nicer side of Pontoise, and there you are in this cemetery which I also find very unappealing, yet even so it’s so very quiet”. When the senses are used for the purposes of an alert, the resulting tiredness can mean that your attention wanders: ”When it rains, it’s not quiet. The rain makes the road surface and the paths very slippery. Rain can hinder vehicle vision and even hide certain noises”. A quiet area is seen as a place which is calm and free of any danger where you can drop your guard a little: “When I can watch it [a storm] from a place where I know I’m safe, I feel at ease”. To qualify as being quiet, an area must be free from "any form of aggression", whether it be to the eyes or the ears: “The bus is quieter than the metro. […] there’s the noise of the metro itself and the buzzers at every station”. “There’s no noise and yet I still wouldn’t say that this is a quiet place. But that’s because visually I find it very aggressive”. So the quietness makes it possible to feel things which remind you of nature: “When there are little paths, gardens, the ground is softer. The texture is more pleasant, and reminds one of the textures found in the countryside”. The workshops have shown that in certain situations quiet can be inappropriate or may be frightening: “It’s very quiet but it’s a bit dead”. The European directive on noise management in the environment requires the implementation of action plans for protecting these quiet areas. But shouldn’t we also protect high quality acoustic zones as Lex Brown suggested? Indeed, the coming and going which in general denotes the presence of human beings may be desirable, because it is often associated with the notion of sharing. All the features mentioned above must now be presented in terms of town planning in order to help decision makers implement their noise prevention plans within the environment. |
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EDITO N°45
10/07/2011
Nathalie Boucher & Laurence Janni
Doctorantes en études urbaines. Laboratoire VESPA, Institut national de la recherche scientifique, Centre Urbanisation Culture Société, Montréal, Canada
PhD candidates in Urban Studie. VESPA Laboratory, Institut national de la recherche scientifique, Centre Urbanisation Culture Société, Montreal, Canada
Le rapport du (cyber) ethnographe urbain à l’ambianceLe chercheur en milieu urbain se doit de maîtriser l’art de l’objectivité. Pourtant, dans ses recherches, par ses méthodes, il est la proie des ambiances des espaces qu’il étudie. Faire des relevés de terrain ou se rendre sur le lieu d’une entrevue immerge le chercheur dans les ambiances urbaines. Dans les deux cas, et dans bien d’autres, ses prédispositions sensorielles auront une influence sur les données qu’il va récolter. Le chercheur doit-il contrôler ou analyser sa sensibilité aux ambiances urbaines dans sa compréhension de la ville ? A-t-il les outils théoriques et méthodologiques pour le faire? Ici, nous opposons pour l’exercice nos deux méthodologies privilégiées et leur rapport à l’ambiance. Ethnographie Aujourd’hui, l’immersion ethnographique urbaine est courte, focalisée sur une dimension ou une autre de la ville. L’ambiance est un élément puissant et saisissable, mais souvent compris comme secondaire, voire illustratif. Le Belleville de Simon1 est conçu comme un chevauchement des ambiances de Belleville qui exprime la mosaïque des usages sociaux dans ce quartier multiethnique. La saisie des ambiances ici est-elle tributaire du sujet d’études ? Un autre chercheur travaillant sur un autre sujet aurait-il saisi les mêmes sons, lumières, voix et couleurs? Les aurait-il agencés de la même façon? Les aurait-il analysés avec le même résultat ? Trop souvent, les chercheurs négligent l’importance de leurs sens. Le rapport du chercheur aux stimulations sensorielles n’est pas valorisé, est peu exploré et exploité. Pourtant, la recherche de terrain s’enrichit du partage de ces expériences avec les citadins. Les outils qui assurent un minimum de valeur scientifique au travail ethnographique pourraient être mis à contribution pour objectiver la relation à l’ambiance. Mais cet exercice de saisie et de transmission objectives du rapport aux ambiances urbaines ne dénaturerait-il pas ces expériences sensorielles toutes subjectives ? Cyber ethnographie Comment entendre ces appels subtils aux sens et tenir compte de leur écho dans la recherche urbaine ? Les nouvelles technologies, qui font leur chemin dans nos méthodes de collectes de données, pourraient peut être rendre justice aux ambiances vécues, ressenties, exprimées. La cyber ethnographie permet au chercheur de tenir le terrain à distance de ses sens. Mais est-ce ainsi donner plus d’objectivité à la recherche ou la priver d’éléments indispensables à sa compréhension du social ? Faut-il réintégrer ces données aux connaissances du terrain et si oui, comment ? Les pratiques numériques des urbains ainsi que la connectivité dans les espaces publics participent elles-mêmes de cette ambiance à saisir et au final participent de son rythme. Il y a quelques années, Finnegan2 s’est intéressée à l’importance des divers récits (personnels et institutionnels) que les acteurs rédigent sur la ville en écrivant sur eux. Les récits de chacun permettent alors de représenter le tout et l’expérience du tout. Le foisonnement des récits de cette nature sur Internet offrent de nouvelles perspectives en terme d’accès à une grande diversité de discours, de ressentis, de représentations et donc d’éléments d’ambiances filtrés par d’autres sensibilités que celle du chercheur. Internet pourrait-il être l’outil d’une étude des ambiances qui embrasseraient toutes les dimensions sensorielles... sauf celle du chercheur ? | The report of the (cyber) urban ambiance ethnographerThe researcher of urban environment has a duty to master the art of objectivity. He is nonetheless prey to the ambiances of the spaces he studies, in his research and by his methods. The researcher is submerged in urban ambiances when performing site surveys or going to the interview location. In both cases, and in many others, his sensory predispositions will have an influence on the data he collects. Should the researcher control or analyse his sensitivity to urban ambiances in his understanding of the city? Does he have the theoretical and methodological tools to do so? As an exercise, we shall compare here our two preferred methodologies and their relationship to ambiance. Ethnography Ethnographical urban immersion is currently short, focused on a given dimension of the city. Ambiance is a powerful, perceptible element, although often understood as secondary or even illustrative. The Belleville of Simon1 is designed as overlapping Belleville ambiances, which expresses the patchwork of social customs in this multiethnic quarter. Does the record of the ambiances here depend on the research subject? Would another researcher working on another subject choose the same sounds, lights, voices and colours? Would he put them together in the same way? Would he analyse them with the same result? Researchers tend to neglect the importance of their senses too often. The researcher’s relationship to sensory stimulations is not recognized and rarely explored and used. Yet field studies are enhanced by sharing these experiences with city-dwellers. The tools that guarantee ethnographical worka minimum scientific value could be put to use to objectify the relationship to ambiance. Yet wouldn’t this exercise of objective recording and transmission of the relationship to urban ambiances misrepresent these wholly subjective sensory experiences? Cyber ethnography How can we hear these subtle calls to the senses and make allowance for their echo in urban research? The new technologies that play a growing role in our data collection methods could perhaps do justice to the ambiances experienced, sensed and expressed. Cyber ethnography helps the researcher keep the field at a distance from his senses. Yet is this a way of making research more objective or depriving it of key elements for its understanding of social issues? Should this data be reintegrated into our field knowledge and, if so, how should it be done? City-dwellers’ digital practices and the connectivity in public areas in turn contribute to this ambiance that needs to be recorded, and they ultimately contribute to its pace. A few years ago, Finnegan2 examined the importance of the various accounts (personal and institutional) that city-dwellers give of the city as they write about themselves. Each account therefore helps represent the whole, and the experience as a whole. The abundance of accounts of this type on the Internet open up new vistas in terms of access to a great diversity of stories, feelings and representations, and accordingly elements of ambiance filtered by other sensitivities than those of the researcher. Could the Internet be the tool for a study of ambiances that would encompass all sensory dimensions, except that of the researcher? |
1. Simon, P. 1997. «Les usages sociaux de la rue dans un quartier cosmopolite». Espaces et Sociétés, vol. 90-91, p. 43-68. 2. Finnegan, R. 1998. Tales of the city. A stydy of narrative and urban life. Cambridge : Cambridge University Press. |
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EDITO N°44
18/06/2011
Faten Hussein
Architecte, doctorante au CERMA UMR CNRS/MCC 1563, ENSA Nantes, France. Thèse en cotutelle dirigée par G. Hégron et J-P. Péneau, encadrée par P. Joanne
Architect, PhD Candidate at CERMA research group UMR CNRS/MCC 1563, ENSA Nantes, France. PhD cosupervised by G. Hégron, J-P. Péneau and P. Joanne
Un pied dans la ville quand on est presbyacousiqueSuzanne Soukeina, 84 ans, retraitée de la poste tunisienne, ne s’adonne plus à son activité préférée : la marche. Des problèmes cardiaques couplés à une déficience auditive liée à l’âge avancé l’obligeant à porter une prothèse auditive font que son univers se rétrécie considérablement depuis quelques années. Elle nous a fait part de ses craintes vis-à-vis de la fréquentation de l’espace public : « Je crains les chutes…tout le monde court à l’extérieur, les voitures roulent vite et ma lenteur me fait sentir que je m’expose à un danger à chaque mètre que je fais… »1. De nombreuses études qui s’intéressent à l’usage de la ville par les plus âgés pose la question de la sécurité à s’exposer dans l’espace public lorsqu’on atteint le grand âge. Les difficultés de mobilité au sens strict sont souvent le prétexte à fréquenter de moins en moins l’espace public. Un mal, aussi responsable de l’isolement de la personne âgée que la diminution de ses capacités physiques, passé souvent sous silence, à cause entre autres de son invisibilité : il s’agit de la presbyacousie. La perte de discrimination sonore chez le piéton âgé est à l’origine de nombreuses situations de dangers et d’accidents de la voie publique. Ne percevant plus les signaux auditifs d’alerte ou, quand il les perçoit, ne les situe plus à leur bonne origine, le piéton âgée se trouve vulnérable et fragilisé lors de son évolution dans la ville. Suzanne Soukeina nous confie que : « les voitures roulent vite et je n’arrive plus à entendre leurs klaxons parfois pour savoir d’où elles viennent... j’ai peur de traverser, on m’écraserait surement »2. Elle souffre d’une surdité de perception moyenne à sévère. Si sa prothèse auditive est d’une aide considérable à l’intérieur, elle n’a pas été calibrée pour l’extérieur. Afin de déchiffrer les moments clés de modification d’ambiances sonores urbaines et d’émergence d’évènements sonores qui avertissent d’un danger et que cette dame n’arrive plus à discriminer auditivement en s’engageant dans une configuration urbaine de situation de danger critique3, nous avons fait appel à la technique des « textures audio4 », une technique récente, empruntée du domaine du traitement de l’image et permettant de détecter graphiquement, sur une matrice dite d’inter-similarité5 les modifications d’ambiances sonores lors d’un parcours. Un algorithme de segmentation de scènes sonores6 a été développé à cet effet pour détecter la similarité ou non entre deux séquences sonores. Avant de traverser un carrefour, l’une des configurations urbaines accidentogènes identifiées, nous avons équipé Suzanne Soukeina d’un biocapteur sans fil qui mesure l’activité électrodermale (AED) qui est un indicateur physiologique objectif du niveau de stress et un allié de taille pour détecter graphiquement sur le tracé de l’AED un événement stressant pour notre enquêtée et confirmer l’apparition dans le temps et dans l’espace d’une situation de danger lors du parcours. Notre enquêtée a eu beaucoup de problème à traverser comme le témoigne cet extrait de son commentaire : « Nous allons traverser ce carrefour ? ça me stresse…J’ai peur, je ne sais plus à quel moment je peux traverser…je ne vois plus de loin le feu s’il est rouge ou vert et je suis obligé de me fier aux voitures qui s’arrêtent…il faut traverser là ? Oh mon dieu, cette voiture n’a pas respecté le feu…je n’ai rien entendu ni vu venir…il a klaxonné ? Heureusement que vous êtes avec moi et que le conducteur a freiné à temps sinon elle m’aurait écrasé…C’est dangereux pour moi la ville, c’est fini…»7. A l’instant ‘’T’’ où Suzanne Soukeina a traversé cette partie du carrefour non réglée par des feux de circulation routière et n’a pas pu identifier le son de l’avertisseur sonore de la voiture qui approchait, nous avons analysé la scène sonore en question grâce à l’algorithme de segmentation. En relevant les coordonnées temporelles de la RED et en les couplant avec la segmentation de la scène sonore à l’endroit ‘’X’’ de l’apparition de la réaction stressante à travers un balayage de la matrice d’inter-similarité obtenue, nous avons pouvons pu déterminer avec précision le numéro de l’échantillon de la séquence sonore sujet à l’apparition de la situation de danger qui n’a pas été identifiée par la personne âgée presbyacousique. Les « textures audio » seraient alors un indicateur sonore pertinent pour une personne âgée presbyacousique et la représentation en deux dimensions qu’elles offrent nous permettrait de détecter graphiquement l’apparition d’une situation de handicap et de prévoir ainsi les corrections nécessaires afin de permettre aux séniors de sortir de chez eux. Suite à cette détection graphique, nos recherches doctorales à visée opérationnelle dicteraient l’établissement d’un éventuel cahier des charges regroupant des dispositions et dispositifs palliatifs à l’apparition de ces situations de danger en ville pour cette population âgée (feux sonores dont le signal est modifié selon une écoute déficiente dans les aigues, un appareillage auditif intégrant une localisation de l’avertisseur sonore d’un véhicule…). | One foot in the city when we are presbycusisSuzanne Soukeina, 84 years old, retired from the Tunisian Post Office, is no more practicing her favourite activity: walking. Cardiac problems linked to hearing loss due to age, that requires her to wear a hearing aid, make his universe considerably narrow these last years. She expressed to us her problems to evolve in public space: "I fear to fall ... everyone runs outside, cars are going fast and my slowness makes me feel that i’m exposed to a danger each yard that i do..."1. Many studies exploring the use of the city by the seniors raises the question of the safety to go outside when we reach an old age. The difficulties of moving are often an excuse to less attend public spaces. Another problem, also in charge of the loneliness of the elderly as the decrease of their physical abilities, is often ignored, because of its invisibility: the presbycusis. The loss of sound discrimination in the case of old pedestrian is causing many dangerous situations and accidents when crossing roads. No longer perceiving auditory warnings signals or, when they perceive them, they can’t situate them at their true origin, old pedestrian become vulnerable when evolving in the city. Suzanne Soukeina confides that "the cars drive fast and i can no longer hear their horns to know from where they come from ... I'm afraid to cross, i’ll be crushed by the cars for sure"2. She suffers from a moderate to severe neurosensorial hearing loss. If her hearing aid is very helpful in inside and closed spaces, it wasn’t calibrated for the open spaces. To detect the moments of changes in urban soundscapes and emergence of sound events that warn of a danger that this old woman is no longer able to discriminate aurally if she’s facing an urban configuration, field of a critical situation of danger3, we have used the technique of “audio textures4”. It’s a recent technique, borrowed from the field of image processing. It allows detecting graphically, through a matrix of inter-similarity5, the modifications of sonic ambiances during an urban walk. For this purpose, a segmentation algorithm6 of audio scenes was developed to detect if there is a similarity between two audio sequences. Before crossing an intersection, one of the identified accident-prone urban configurations, we equipped Suzanne Soukeina with a wireless biosensor that measures electrodermal activity (EDA) which is an objective physiological indicator of stress level and very efficient to detect graphically on the outline of the EDA a stressful event for our subject. We can confirm with precision the occurrence in time and space of a dangerous and stressful situation during the walk. Suzanne Soukeina had a lot of problems to cross as shown by this excerpt from her comment: "We'll cross that intersection? It’s stressing me ... I'm afraid, I don’t know when I can go through ... I can’t see if the traffic light is red or green and i am forced to rely on cars that stop there ... We have to cross? Oh my god! This car didn’t stopped at the green traffic light ... I haven’t heard or seen it coming ... it honked? Fortunately, you are with me and the driver braked in time otherwise it would have crushed me ... The city becomes dangerous for me, it's over.... "7 At the moment called ''T'', when Suzanne Soukeina crossed this part of the intersection which isn’t controlled by traffic lights and she couldn’t identify a near sound of a car’s horn, we analyzed this specific sound scene with the segmentation algorithm. We proceed to a definition of the temporal coordinates of the electrodermal reaction. Then we associate them with the segmentation of the sound scene at the place called ''X'' where appears the stressing reaction through a scanning of the inter-similarity matrix obtained. Finally, we could accurately determine the number of the sample of the sound sequence corresponding to the exact moment of the emergence of the dangerous situation that hasn’t been identified by the presbycusis senior. The "audio textures" are a relevant sonic indicator for a presbycusis senior. The two-dimensional representation they provide allows us to graphically detect the occurrence of disabilities and to offer the needed corrections so that seniors leave their homes and go outside. The prospects of our PhD subject are to specify a guide that contains some palliative considerations to follow in order to avoid those situations of danger in the city faced by presbycusis elderly (traffic sonic lights which the signal is modified according to deficient hearing for high frequencies, a hearing aid incorporating a tracking of the horn’s cars...). |
1. Extrait d’un entretien précédant un parcours commenté réalisé avec Mme Suzanne Soukeina B. le 03/01/11 à Tunis, quartier Lafayette (12h34). 2. Extrait d’un entretien précédant un parcours commenté réalisé avec Mme Suzanne Soukeina B. le 03/01/11 à Tunis, quartier Lafayette (12h46) 3. Une situation de handicap est une conjugaison d’une diminution des performances physiques et d’un environnement matériel et humain peu favorable. Typologie des situations de handicap identifiées : les situations de gêne, de stress et de danger (d’après L. SABY, Vers une amélioration de l’accessibilité urbaine pour les sourds et les malentendants, thèse en génie civil, l’institut national des sciences appliquée de Lyon, 2007). 4. Ensemble d’éléments sonores répétitifs, organisés aléatoirement, tout en préservant une certaine cohérence temporelle et spectrale. 5. La matrice est obtenue en : d’abord, échantillonner le signal audio. Ensuite, partitionner le signal en frames de 512 échantillons via les 13 premiers coefficients MFCC (échelle de Mels de perception humaine). Enfin, capturer le degré de similarité entre 2 frames représentés par deux vecteurs i et j en se basant sur le produit de vecteurs : on obtient ainsi une matrice carrée symétrique présentant graphiquement le signal sonore tel qu’il a été traité par cet algorithme de segmentation 6. Algorithme développé au sein de l’Unité de recherche « Signaux et Systèmes », Département TIC, Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tunis (ENIT). 7. Extrait d’un parcours commenté réalisé avec Mme Suzanne Soukeina B. le 03/01/11 à Tunis, quartier Lafayette (13h17). | 1. From an interview conducted before a commented walk with Ms. Suzanne Soukeina B. the 03/01/11 at Lafayette, Tunisia (12:34). 2. From an interview conducted before a commented walk with Ms. Suzanne Soukeina B. the 03/01/11 at Lafayette, Tunisia (12:46). 3. A situation of disability results from an incompatibility between physical environment and human abilities. Three situations of disability were identified: situations of discomfort, anxiety and danger (L. SABY, Vers une amélioration de l’accessibilité urbaine pour les sourds et les malentendants, thèse en génie civil, l’institut national des sciences appliquée de Lyon, 2007). 4. A set of repetitive sound elements, random organized, but in the same time it preserves a temporal and spectral coherence. 5. The matrix in obtained by: First, sampling the audio signal. Second, segmenting the signal into frames of 512 samples over the first 13 MFCC coefficients (The Mel scale is a frequencies scale based on human perception). Third, capturing the degree of similarity between two frames represented by two vectors i and j (based on the product of vectors). We obtain a square symmetric matrix presenting the audio signal as it has been manipulated through this algorithm segmentation. 6. Segmentation’s algorithm developed by Research unit « Signals and Systems », TIC Department, National school of Engineers, Tunis, Tunisia (ENIT). 7. From a commented walk with Ms. Suzanne Soukeina B. the 03/01/11 at Lafayette, Tunisia (13:17). |
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EDITO N°43
18/05/2011
Anne Bertrand-Callède
Docteur en Anthropologie-Ethnologie-Préhistoire, Nantes, France
PhD Anthropology-Ethnology-Prehistory, Nantes, France
A la croisée des chemins des ambiances... et du Paléolithique SupérieurPlusieurs mois de travail se sont écoulés au cœur du Cerma, à la découverte du monde des ambiances architecturales et urbaines, qu’elles soient classées « ambiance lumineuse », « ambiance sonore », « ambiance thermique », « ambiance visuelle »… En tant que préhistorienne, avec pour période de prédilection le Paléolithique Supérieur, ce domaine de recherche me paraissait bien éloigné de celui des hommes préhistoriques, et associer cette époque à la notion d’ambiance architecturale me semblait peu scientifique. En effet, la notion d’ambiance architecturale se base essentiellement sur la perception sensible de l’environnement construit et du confort et la recherche des ces ambiances se fonde sur l’étude des phénomènes physiques tels que la lumière, la chaleur, l’humidité, le vent, le soleil, l’obscurité, sur la perception visuelle de l’environnement, de l’espace qui nous entoure. Or peut-on parler d’environnement construit au Paléolithique Supérieur alors que l’homme fait partie intégrante de son environnement naturel qu’il n’a pas encore transformé, qu’il n’a pas encore réellement construit ? Au Paléolithique Supérieur, période datée de 35 000 ans à 9000 ans avant JC, plusieurs cultures se succèdent. Les hommes vivent essentiellement de chasse, de pêche et de cueillette et tous vivent bien, en petits groupes : ce sont des nomades dont les déplacements sont essentiellement ceux de leur gibier. Le feu est maîtrisé depuis des millénaires, ils enterrent leurs morts, les premières sépultures datant de 80 000 ans avant JC. Tous ont pratiqué l’art, qu’il soit mobilier (sur objet), sur les parois dans les profondeurs des grottes, dans des abris sous roche ou encore en plein air. Ces hommes acquièrent au cours du Paléolithique Supérieur une qualité de vie beaucoup plus évoluée que l’homme contemporain ne l’imagine. Au niveau de l’habitat, selon la région où il se situe, l’homme du Paléolithique Supérieur vit soit sous tente, lorsqu’il est en plaine, soit dans des abris sous-roche présents au pied des falaises, soit à l’entrée des grottes, parfois dans des cabanes construites à l’aide de défenses et d’os de mammouth comme c’est le cas en Moravie, en Russie et en Ukraine. Nous pourrions parler pour ces dernières de premières architectures, il est plus délicat de la faire pour les tentes.L’image de l’homme préhistorique vivant au fin fond des cavernes est globalement fausse, nous n’en connaissons que de rares exemples. De façon certaine, en ce qui concerne l’habitat, le choix des campements n’est pas indifférent à l’exposition par rapport au soleil, à sa chaleur et à sa lumière, par rapport au vent, au froid qu’il peut apporter … De plus, il est vraisemblable que ces mêmes phénomènes avaient leurs rôles dans l’aménagement intérieur de l’habitat. Les grottes ornées sont un domaine beaucoup plus délicat à aborder, même si des phénomènes telle que la lumière, les ombres y ont eu leur importance, au niveau de la perception visuelle. Il est certain que la lumière – artificielle – dont disposait l’homme préhistorique participait à l’animation des figurations pariétales et, d’une façon générale, à l’ambiance mystérieuse des profondeurs des grottes. Nous découvrons aujourd’hui les peintures, les gravures et les sculptures de ces grottes dans un contexte bien distinct de celui des hommes préhistoriques, avec un éclairage très différent... Les questions relatives au rôle de la lumière, de la chaleur, du vent, de leur importance dans l’habitat préhistorique, dans le monde souterrain des grottes ornées ont bien lieu d’être posées. Cependant, beaucoup de données nous sont inconnues et qu’il est difficile d’évaluer.Les hommes préhistoriques connaissaient donc le feu. La lumière - en dehors de celle naturelle -, la chaleur étaient apportées dans les habitats par les foyers, que nous retrouvons lors des fouilles. Ils réalisaient également des lampes à graisse dont ils se servaient pour aller dans les zones obscures des cavernes, ainsi que de torches comme nous le montre les traces de mouchage sur les parois. Mais comment mesurer l’importance et le rendu de ces sources d’éclairage ? Si, grâce à l’expérimentation, la puissance lumineuse d’une lampe à graisse nous est connue, nous ignorons leur nombre, leur emplacement. De même, l’importance du soleil ou de la lumière naturelle dans les abris sous roche ou à l’entrée des grottes est souvent impossible à estimer car l’auvent des abris s’est en partie effondré ainsi que le porche de l’entrée des grottes… lorsque cette dernière est bien celle de l’homme préhistorique. Suite à ce très bref résumé de la vie au Paléolithique Supérieur, il est facile de percevoir que les phénomènes physiques à la base de la recherche scientifique des ambiances – la lumière, la chaleur, l’humidité, le vent, le soleil, l’obscurité – ont un rôle majeur chez l’homme préhistorique. Il est certain qu’il recherchait déjà un certain confort dans son habitat, que la perception visuelle dans les grottes ornées avait son importance… Mais peut-on franchir le pas et parler d’ambiance au Paléolithique Supérieur alors que l’homme préhistorique n’a pas encore construit son environnement ? En tant que préhistorienne, je me pose la question, pourquoi faut il que la notion d’ambiance soit liée à un espace construit ? Il est difficile de ne pas parler d’ambiance lorsque nous sommes au cœur d’une grotte ornée obscure, ou dans un abri sous roche ou à l’entrée d’une grotte anciennement habitée lorsque le soleil y pénètre… | At the crossroads of the ambiances... and the Upper PaleolithicI have worked several months in the Cerma, and I have discovered the world of the architectural and urban ambiances, “lighting ambiance”, “sound ambiance”, “thermic ambiance”, “visual ambiance”… As Prehistorian, with the period preferred the Upper Paleolithic, this research seemed far removed from that of prehistoric man, and associate this time with the concept of architectural ambiance seemed unscientific. Indeed, the notion of architectural ambiance is mainly based on sensitive perception of the built environment and the comfort and research of these ambiances is based on the study of physical phenomena such as light, heat, humidity, wind, sun, darkness on the visual perception of the environment, space around us. Now can we talk about environment built in Upper Paleolithic while human is an integral part of its natural environment that he has not changed and not really built? At the Upper Paleolithic, a period dating from 35,000 years to 9000 BC, several cultures succeed. The men live mainly by hunting, fishing and gathering and all are living well in small groups: they are nomads whose movements are essentially those of their game. The fire is under control for centuries, they bury their dead, the first burials dating from 80,000 years BC. All have practiced the art, whether portable (on object), on the walls in deep caves, in rock shelters or outdoors. These men acquired during the Upper Paleolithic quality of life much more advanced than people today realize. In terms of habitat, depending on where it is located, Upper Paleolithic human lives either in tents, while it is plain, or in rock shelters at the foot of the cliffs, or the entrance to the caves, sometimes in dwellings built with tusks and bones of mammoth, as is the case in Moravia, Russia and Ukraine. We could talk for the last of the first architecture, it is more difficult to do for tents.The image of prehistoric man living in the deep caverns is generally false, we know only a few examples. With certainty, as regards habitat, the choice of settlements is not indifferent to exposure to the sun, its warmth and its light, to the wind, cold can make it ... Furthermore, it is likely that these phenomena had their roles in the interior of the habitat. The caves painting are much more difficult to study, although such phenomena as light, the shadows have been important at the level of visual perception. It is certain that the light - artificial - available to the prehistoric man was involved in the animation of the parietal figures, and generally, to the mysterious atmosphere of depths of caves. Now we find paintings, carvings and sculptures of these caves in a context separate from that of prehistoric man, with a very different light... Questions concerning the role of light, heat, wind, their importance in the prehistoric settlement, in the underground world of caves paintings have reason to be asked. However, many data are unknown and it is difficult to assess. Prehistoric men knew then fire. Light - beyond its natural - heat were made in dwellings at the household level that we find during the excavations. They also realized grease lamps which they used to go into dark areas of caves and torches as we watch the traces of trimming on the walls. But how to measure the importance and rendering of light sources ? If, through experimentation, the output of a lamp fat is known to us, we do not know their number, location. Similarly, the importance of the sun or natural light in the rock shelters or caves entrance is often impossible to estimate because the canopy shelters and the entrance porch of caves have partly collapsed ...when the latter is that of prehistoric man. Following this very brief summary of life in Upper Paleolithic, it is easy to perceive that the physical phenomena at the base of scientific research ambiances - light, heat, humidity, wind, sun, the darkness - have a major role in human prehistory. Certainly he was looking for quite some comfort in its habitat, that visual perception in the caves paintings was an important ... But can we go ahead and talk to the ambiance in Upper Paleolithic while prehistoric man does has not yet built his environment? As Prehistorian I ask myself, why the concept of ambiances is related to built spaces ? It is difficult not to speak of ambiance when we are at the heart of a cave decorated with dark, or in a rock shelter or at the entrance of a cave where prehistoric man lived when the sun enters... |
Référence : Desbrosse René et Kozlowski Janusz, Les habitats préhistoriques. Des Australopithèques aux premiers agriculteurs, Paris, éditions du CTHS, 2001, 220 p. |
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EDITO N°42
23/04/2011
Julien Laurent
Sociologue, chercheur post-doctorant au Groupe de Recherche sur les Espaces Festifs (GREF), Université du Québec à Montréal (UQAM), chargé de cours en géographie et en études urbaines (UQAM), Canada
Sociologist, post-graduate researcher for the Groupe de Recherche sur les Espaces Festifs (GREF), University of Quebec in Montreal (UQAM), in charge of geography courses and urban studies (UQAM), Canada
L’ambiance urbaine dans le skateboard, ou l’animation de la rue comme élément fondateur d’un mode de vieL'appropriation d’un espace public par le skateboard et ses pratiquants engendre une dynamique visuelle et sonore. Celle-ci se traduit par l’émergence d’une ambiance pouvant être festive, ludique voire compétitive, fondée sur l’exploitation du mobilier urbain. Ainsi, un pan de la ville choisit pour son décor, sa qualité de roule, son architecture, devient une scène où il convient de se montrer par l’intermédiaire de performances corporelles qui attirent l’intérêt et surtout le regard de l’Autre. Mes travaux démontrent que les « street » skaters construisent des représentations de certains sites à valeur idéale typique et qui prennent du sens dans leur pratique culturelle (Laurent & Gibout 2010). Ainsi, ils font preuve d’un potentiel à les exploiter et à les sublimer par des figures qui ressemblent à des acrobaties modernisées sous l’appellation anglo-saxonne de tricks (Laurent, 2009). Pour reprendre Chadoin (2010), nous aurions donc affaire à la dimension hard de l’ambiance, prenant une multitude de facettes, à travers cette pratique de la ville. D’ailleurs pour sa dimension sociale, il est possible de relever deux réponses à l’ambiance générée. Celle des pratiquants, de leurs proches et des personnes qui profitent de cette animation. D’autre part, celle des résidents, d’autres chalands craintifs et des autorités locales qui subissent les nuisances sonores causées par le claquement des planches sur le sol et relèvent les dégradations visuelles causées sur le mobilier. Ainsi le bannissement et tout un panel de contraintes surgissent pour mettre un terme à cette ambiance qui dérange afin de la remplacer par une autre d’avantage aseptisée, sécurisée, fonctionnalisée. Cette ambiance protéiforme semble particulièrement pertinente quand il s’agit de cerner les diverses formes d’un mode de vie skateboard (Veal, 2001 ; Wheaton, 2004). Mes enquêtes ethnographiques, parmi divers groupes de pratiquants montpelliérains, démontrent que les skaters adoptent des manières d’être, de faire, de penser qui leurs sont propres. Celles-ci ne sont pas forcément valorisantes et valorisées d’un groupe à un autre. Elles pourront générer soit une empathie qui conduit à des relations quasi-fraternelles, soit de la distinction, de la mise à distance de ceux identifiés comme des intrus qu’il faudra faire fuir par des rapports conflictuels, des intimidations. D’autre part, la notion d’ambiance sous son versant social semble renvoyer au concept de fun, le plaisant et l’excitation liés à un état d’esprit « bon enfant », de défis joués, de réussites partagées, de rigolades et autres bouffonneries entre proches et qui ponctuent les chutes et autres cascades fréquentes. Cette ambiance peut aussi se charger d’un sérieux quasi-professionnel chez les experts qui s’engagent dans la réalisation de performances. Ces deux ressentis animent les interactions entre les skaters. Sur la base de ces constats, nous pourrions soulever la question d’une transmission, entre les générations, d’un panel de comportements qui pourrait faire surgir diverses formes d’ambiance. Est-il possible de relever chez ces individus une capacité à s’ajuster en fonction de la présence de leurs pairs, de générer, selon le contexte, une ambiance plaisante ou au contraire délétère. Y a-t-il une forme d’apprentissage au sein des groupes, des comportements qui peuvent générer ces formes d’ambiances ? Est-ce que dans le cadre de sa carrière au sens de Becker, le pratiquant va aussi apprendre à instaurer et subir diverses formes d’ambiance ? Les recherches menées dans le cadre du Groupe de Recherche sur les Espaces Festifs (UQAM), visent à mieux cerner une forme de bien-être et de bien vivre sa ville pouvant ainsi se matérialiser par une meilleure compréhension de la notion d’ambiance. | Urban ambiance in skateboarding, or street entertainment as a founding element of lifestyleA visual and acoustic dynamic is created when a public space is taken over by the skateboard and its practitioners. This dynamic can be seen in the emergence of an ambiance that may be festive, playful or even competitive, based on the use of street furniture. In this way, a section of the city chosen for its decor, roller quality and architecture becomes a stage on which to be seen through physical performances that attract interest and above all catch other people’s eye. My works show that the street skaters build representations of certain sites with a typical ideal value that has meaning in their cultural practice (Laurent & Gibout 2010). Consequently, they demonstrate a potential to use and embellish them by figures that resemble modernized acrobatics, called tricks (Laurent, 2009). To quote Chadoin (2010), we are therefore dealing with the hard dimension of the ambiance, which has an endless number of facets, through this use of the city. Regarding the social dimension, we can actually note two responses to the ambiance generated. On the one hand, that of the practitioners and their entourage, and the people who benefit from this event; and on the other hand, that of the residents, other fearful passers-by and the local authorities, who suffer the noise pollution caused by boards banging on the ground and note the visible deterioration caused to the street furniture. As a result, bans and severe restrictions are introduced to put an end to this disturbing ambiance and replace it with another more sterile, secure and functionalized ambiance. This protean ambiance seems especially relevant when it comes to defining the various forms of a skateboard lifestyle (Veal, 2001; Wheaton, 2004). My ethnographical surveys, among various practising groups in Montpellier, show that skaters adopt their own ways of being, doing and thinking. These are not necessarily recognized or rewarded from one group to another. They may either generate an empathy leading to more or less fraternal relationships, or a distinction that creates a distance with those considered as intruders, who must be forced to leave through antagonistic relations and intimidation. Furthermore, the notion of ambiance under its social aspect seems to refer to the concept of fun, the pleasure and excitement linked to a “good natured” mindset, based on dares won, shared victories, good laughs and close clowning around, which punctuate the frequent falls and other stunts. This ambiance may also take on a semi-professional gravity among the experts intent on performing well. The interaction between skaters is coloured by these two mindsets. On the basis of these observations, we could raise the question of a transmission, between generations, of a set of behaviours that might give rise to diverse forms of ambiance. Is it possible to note among these individuals a capacity to adapt to the presence of their peers, or to generate a pleasant or obnoxious ambiance depending on the context? Is there a type of learning within the groups, with patterns of behaviour that can generate these forms of ambiance? Will the practitioner also learn to inflict and suffer various forms of ambiance in the context of his career in the sense of Becker? The studies done in the framework of the Groupe de Recherche sur les Espaces Festifs (UQAM), aim to better define a form of well-being and urban good conduct that can be materialized in this way through a better understanding of the notion of ambiance. |
References Becker, H. (1985, 1ère éd. 1963). Outsiders. Sociologie de la déviance. Paris : Métailié. Chadoin, O. (2010). La notion d’ambiance. Contribution à l’examen d’une invention intellectuelle postmoderne dans le monde de la recherche architecturale urbaine. Les Annales de la recherche urbaine, nº 106 pp. 153-159. Laurent, J. & Gibout, C. (2010). Ces décors urbains qui invitent aux voyages : « L’imagibilité » chez les skaters de Montpellier. Les Annales de la recherche urbaine, nº 106 pp. 106-116. Laurent J., (2009), « La ville et la culture des « jeunes » influencées par l’acrobatie : réflexion sur les ambivalences des pratiques urbaines », Loisir et société, vol. 31, n° 2, Presses Universitaires du Québec. Veal A.-J., (2001), « Leisure, culture and lifestyle », Loisir et Société, vol. 24, n°2, pp. 359-376.Wheaton, A. (2004). Understanding lifestyle sports. Consumption identity and difference. Routledge : New York. |
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EDITO N°41
05/04/2011
Jean-Louis Izard
Architecte, professeur à l'ENSA Marseille, Directeur du Laboratoire ABC (Architecture Bioclimatique et Construction parasismique), France
Architect, professor at the ENSA of Marseille, Director of Laboratoire ABC (bio-climatic architecture and anti-seismic construction), France
Comment construire écologique au 21e siècle ?Quel rôle peut jouer l’architecte pour une construction écologique dans ce siècle promis à des changements climatiques sans précédents dans l’histoire de l’humanité ? La question doit être traitée à trois échelles différentes. Le bâtiment et la construction Economiser l’Energie finale et l’énergie primaire : On constate souvent des écarts entre les bilans prévisionnels des bâtiments en projet et ceux qui sont mesurés lorsqu’ils sont exploités : comment prendre en compte le comportement des usagers ? Les conditions du confort d’été ne sont-elles pas aggravées par les dispositions prises pour contrôler l’énergie ? Le confinement des locaux ne contribue-t-il pas à une dégradation des conditions sanitaires intérieures ? Energie grise et matériaux écologiques : Comment contrôler l’énergie grise investie dans le bâtiment ? Dans quelle mesure peut-choisir des matériaux locaux au risque de les voir rapidement s’épuiser ? L’usage de matériaux produits localement n’est-t-il pas condamné à ne couvrir qu’une part marginale du marché de la construction ? Militer activement pour leur utilisation générale n’est-elle pas une action vouée à une impasse ? Les énergies renouvelables : L’énergie solaire étant diffuse, il faut mobiliser de grandes surfaces pour produire des quantités d’énergie qui ne soient pas négligeables dans le bilan de la production totale d’énergie. Où prendre ces surfaces ? En priorité sur des surfaces déjà occupées par l’urbanisation : parkings, couvertures de grandes surfaces…etc. Quant à l’espace rural, il est rageant de geler des surfaces cultivables à des fins de production d’électricité photovoltaïque, sous le prétexte que les parcelles ne sont plus aujourd’hui cultivées ! Pour les combustibles à base de bois, leur production ne doit pas entrer en concurrence avec la filière « bois construction ». Ils doivent demeurer le produit de la valorisation de déchets. Mais la combustion des poêles et chaudières à bois à haut rendement n’est-elle pas dangereuse pour la santé, en absence de filtres coûteux à l’investissement et qu’il faut entretenir ? La prolifération des poêles à bois, outre qu’elle risque le tendre le marché du bois combustion, va-t-elle représenter un danger pour les populations au même titre que les moteurs diésel ou l’amiante ? La santé des occupants : Le problème ici n’est pas tant le recensement exact des causes possibles de pollution de l’air intérieur que le fait que ces questions ne soient même pas posées lors de la conception de notre environnement bâti. Comment faire entrer les enjeux de santé dans les préoccupations des maîtres d’ouvrage et des maîtres d’œuvre sans entrer en conflit avec les exigences énergétiques ? La ville La question urbaine est présente à travers la mobilité en liaison avec le phénomène de l’étalement urbain. La lutte contre cet étalement se heurte à deux objections : La « Loi de Zahavi » qui constate que l’augmentation des vitesses des déplacements (collectifs ou individuels) incite les habitants à aller résider plus loin. L’autre concerne le conflit avec les facteurs de « l’Ilot de Chaleur Urbain ». Il faut donc manier la densification avec prudence et développer parallèlement le patrimoine vert de la ville et échapper au dilemme ville verte de faible densité/Ville dense de faible verdissement. Plus globalement, la grande question est celle de « l’empreinte écologique » de la ville et les moyens de la réduire. Ne faudrait-il pas que la ville devienne « bioproductive », ce qui changerait radicalement la manière de la concevoir ? Les cités-jardins par le passé1 et les jardins partagés aujourd’hui2 ne sont-ils pas précurseurs de cette ville capable de subvenir elle-même à une partie de ses besoins en exploitant une partie de ses déchets ? Le monde La démographie mondiale : comme le rappellent Hervé Domenach et Michel Picouet3, l’impact sur l’environnement (I) est le produit de la Taille de la population (P) par la consommation des biens par tête (A) et par la Technologie (T). Une autre manière d’exprimer cette équation explicite encore mieux les facteurs sur lesquels il faut agir : Dégradation = Population x Production/Population x Pollution/Production. Tous les progrès que l’on pourra enregistrer sur les rapports Production/Population (en allant vers des comportements plus sobres de la population) et Pollution/Production (en améliorant l’efficacité environnementale des procédés de production, y compris dans le secteur résidentiel et tertiaire) seront compensés in fine par la taille de la population, qui continue à croître. Conclusion Le problème auquel nous sommes confrontés est d’ordre mondial : le monde est une échelle à laquelle il est difficile d’agir : il suffit de constater les échecs des tentatives de régulation que constituent les sommets de la terre à cause des intérêts divergents entre les pays riches et les autres, avec des évolutions démographiques et des niveaux économiques très différents, face à des opinions publiques et des gouvernants obsédés par des indicateurs comme le PIB qui présente la croissance comme le remède à tous les maux. Face à l’énormité de ces enjeux, que pèsent les idées et les actions des architectes ? Ne leur reste-t-il pas que l’action locale ? Sans doute, il faut préparer les architectes à intervenir pour adapter nos bâtiments à l’inévitable réchauffement planétaire prévu dans les décennies qui viennent, puisqu‘il semble que le CO2 émis jusqu’ici est déjà suffisant pour modifier le climat sans possibilité de retour en arrière. Ce que nous savons de ces perspectives est que l’échauffement sera plus fort là où il fait froid (zones polaires), en hiver plus qu’en été (sans toutefois que disparaissent des épisodes très froids) et la nuit plus que le jour : il y a là des pistes de réflexions sur la manière de construire au XXIe siècle dans les pays développés en zone de climat tempéré, et notamment en zone méditerranéenne, pour que la vie des habitants soit la plus acceptable possible, hors les conséquences socio-économiques que le bouleversement climatique ne manquera pas d’entraîner. | How do we build ecologically in the 21st century?What role can the architect play to promote ecological building in a century destined for unprecedented climatic changes in man’s history? The question needs to be addressed on three different levels. Building and design How do we economize on final energy and primary energy? We often notice discrepancies between the provisional assessments for buildings in the planning stage and those measured once they are in use. How can we make allowance for user behaviour? Are comfortable summer conditions threatened by energy-saving measures? Does the containment of premises contribute to deteriorating internal health conditions? Regarding grey energy and ecological materials, how do we control the grey energy vested in the building? To what extent can we choose local materials, at the risk of rapidly making them extinct? Is the use of local materials condemned to only cover a marginal share of the building market? Is actively campaigning for the widespread use of local materials doomed to failure? Concerning renewable energies, since solar energy is diffuse, large surface areas are needed to produce quantities of energy that are significant in the balance of total energy output. Where do we find such areas? Primarily in areas already occupied by urban development, such as car parks, supermarket roofs, etc. As for rural areas, it is infuriating to set aside arable land for the purpose of producing photovoltaic electricity on the pretext that such plots of land are no longer farmed! As for wood-burning fuel, production must not compete with the “building timber” sector. It must remain the product of waste recycling. Yet aren’t efficient wood-burning stoves and boilers harmful to our health, unless they come with filters that are expensive to install and service? Besides the fact that it might impact the market for wood fuel, does the proliferation of wood-burning stoves represent as great a danger for the population as diesel engines or asbestos? The problem, as far as the occupants’ health is concerned, is not so much the accurate inventory of the possible causes of air pollution inside, as the fact that these issues are not even raised when designing our building environment. How can we interest owners and project managers in health issues without entering into conflict with energy requirements? The city The urban issue can be seen in the mobility induced by urban sprawl. There are two hurdles in the fight against urban sprawl. One is the “Zahavi law”, which holds that faster means of public or private commuting encourage people to move further away from the workplace. The other concerns the conflict with “Urban Warmth Area” factors. Higher population density needs to be handled with caution, and in parallel we need to develop the green city and resolve the dilemma of the sparsely populated green city versus the populated city with virtually no green areas. The major issue is basically that of the city’s “carbon footprint” and how to reduce it. Shouldn’t the city become “bio-productive”, which would drastically change the way it is designed? Aren’t the garden-cities of the past1 and the shared gardens of the present2 the precursors of such a city, which would be capable of being partly self-sufficient by recyling part of its waste? The world Concerning world demographics, as Hervé Domenach and Michel Picouet3 point out, the environmental impact (I) is the result of population size (P) by per capita consumption of goods (A) and by technology (T). Another way of expressing this equation explains even better the factors we need to influence: Deterioration=Population x Production/Population x Pollution/Production. Any progress made in Production/Population ratios (by the population pursuing more sober policies) and Pollution/Production ratios (by improving the environmental efficiency of production processes, including in the residential and tertiary sector) will ultimately be offset by the population factor, which continues to grow. Conclusion The problem we face is global. It is hard to bring about change on a global scale. You only have to look at the failure of regulatory efforts at world summits due to the diverging interests of rich countries and the others, with very different demographic trends and economic levels, faced with public opinions and governments obsessed with indicators like GDP, for whom growth is the remedy for all ills. Given the enormity of these challenges, what can the ideas and actions of a few architects achieve? Are they doomed to only act at local level? We undoubtedly need to prepare architects to work on adapting our buildings to the inevitable global warming forecast for the decades ahead, since it seems that CO2 emissions to date are already sufficient to alter the climate with no possibility of turning back time. What we do know about these forecasts is that the warming process will be greater in cold (polar) areas, in winter more than in summer (although we will still have very cold spells) and at night more than in the day. Here are some pointers for reflecting on how developed countries in temperate climates can build in the 21st century, particularly in the Mediterranean area, to make inhabitants’ lives as pleasant as possible, despite the socio-economic consequences that climate change will inevitably cause. |
1. Jean-François & Nicolas Champeaux, Les cités-jardins, un modèle pour demain, Sang de la Terre, 2007. 2. Laurence Baudelet, Frédérique Basset, Alice Le Roy, Jardins partagés, utopie, écologie, conseils pratiques, Terre vivante, 2008. 3. Dans le fascicule Population et Environnement, PUF Que sais-je ? 2000 ; où ils citent un article de B. Commoner intitulé « Rapid Population Growth and Environmental Stress » publié en 1988. | 1. Jean-François & Nicolas Champeaux, Les cités-jardins, un modèle pour demain, Sang de la Terre, 2007. 2. Laurence Baudelet, Frédérique Basset, Alice Le Roy, Jardins partagés, utopie, écologie, conseils pratiques, Terre vivante, 2008. 3. In the booklet “Population et Environnement, PUF Que sais-je? 2000”; where they quote an article by B. Commoner entitled “Rapid Population Growth and Environmental Stress” published in 1988. |
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EDITO N°40
25/02/2011
Rachel Thomas
Sociologue, Chargée de recherche CNRS au laboratoire CRESSON (UMR 1563 / MCC ENSA de Grenoble). Chercheure invitée au Laboratorio Urbano, Faculdade de Arquitetura da Universidade Federal da Bahia (Brésil)
Sociologist, CNRS research officer at the CRESSON laboratory (UMR 1563/MCC ENSA de Grenoble). Researcher invited to the Laboratorio Urbano, Faculdade de Arquitetura da Universidade Federal da Bahia (Brazil)
Dé(s)cor(p)s plastiques1Rio de Janeiro, samedi 20 novembre 2010, 9H15. Nous sommes une petite dizaine de femmes et d’hommes à nous engouffrer joyeusement dans le minibus qui nous emmène au nord de la ville, dans le quartier de la Maré, pour les premières journées de préparation de Corpocidade2. Après un échange amical d’accolades, les discussions vont bon train. L’ambiance sonore du minibus est à la fois forte et chantante. Les éclats de rire fusent. Les sourires éclairent les visages et il n’est pas rare que les corps chaloupent pour échanger quelques boutades. Cette bonhomie, comme le confort et l’atmosphère climatisée du bus, participent d’une détente générale. Mais soudainement, à la faveur d’un changement de trajectoire de notre véhicule, cette ambiance quasi festive est rompue. Il est environ 9H30. Notre bus quitte l’avenue Brasilet s’engouffre au cœur de la Maré, favela d’environ 150000 personnes, construite sur un ancien terrain marécageux.Un sifflement, à peine perceptible, se fait entendre. Simultanément, notre chauffeur ralentit considérablement son allure. Nous roulons « au pas », à 20km/heure à peine, un silence et une tension écrasante remplaçant la frivolité de nos précédents échanges.À quelques mètres de nous, légèrement en retrait, un « petit soldat » contrôle les allées et venues à l’intérieur du « territoire ». Pas de gestes vindicatifs, ni de propos violents. Il est simplement là, bien visible, posté nonchalamment le long de la façade, une imposante arme glissée contre sa jambe. Il a à peine 15 ou 16 ans. Autour de lui, des scènes ordinaires de la vie de quartier se déroulent : des enfants jouent au milieu de quelques gravats, des hommes partagent une bière à la terrasse d’une buvette, trois adolescentes coquettes traversent la rue en direction de l’arrêt de bus tout proche… La scène dure à peine 5 minutes. Elle semble pourtant s’éterniser. À l’intérieur du bus, la dynamique est brisée. À l’embarquement succède la suspension. Les visages se sont figés, les mains se sont crispées, les corps se sont raidis au fond des sièges dans un mouvement collectif de retrait, de repli sur soi et de désynchronisation. D’un état d’enveloppement, traduisant cette sensation partagée de détente et de proximité, nous passons tous à un état de tension et d’hypnose. La violence implicite d’une seule présence a créé les conditions d’une anxiété et d’une fascination paralysantes. Quelques minutes plus tard, lorsque nous sortirons du véhicule, deux de mes collègues m’expliqueront que le chauffeur s’est « simplement » trompé d’entrée. Et qu’ici, au cœur de la favela, le partage du territoire se fait au prix d’un contrôle quotidien des entrées et sorties, et d’une négociation permanente des accès au territoire de l’autre… L’exemple est certes fort. Il illustre pourtant les questionnements que nous portons depuis deux ans sur le thème de l’apaisement des mobilités piétonnes au XXIe siècle3. Si les problématiques environnementales médiatisent largement la réflexion sur la réorganisation des mobilités urbaines dans nos sociétés occidentales, c’est bien le retour d’énoncés hygiénistes et sécuritaires qui, dans les sociétés émergentes comme le Brésil, animent les débats sur la nécessaire « pacification » de la rue (et des favelas). Dans un cas comme dans l’autre, les dispositifs mis en place dessinent de nouveaux jeux d’ambiance dont on connaît depuis les travaux de Simmel (1903), Kracauer (1926) ou Benjamin (1936) les incidences sur les sensibilités et les sociabilités d’une époque. Plutôt que d’appréhender les « pathologies de l’urbain », c’est aux variations de l’expérience ordinaire, à leur plasticité et à la manière dont elles s’incarnent dans le quotidien du piéton, que nous prêtons attention. Autant de questions sociétales dont la problématique des ambiances peut s’emparer. | 1Plastic Body(s)Rio de Janeiro, Saturday, 20 November 2010, 9.15 am. We are a small group ten or so men and women gleefully boarding the minibus taking us to the north of the city, to the Maré quarter, for the first days of preparation for Corpocidade2. After a friendly exchange of greetings, everyone starts chatting. The sound level in the minibus rises swiftly, punctuated by bursts of laughter. People are smiling and swaying as they swap jokes. This geniality, like the comfortable air-conditioned bus, adds to the general relaxed ambiance. Yet suddenly, as our bus makes a turn, the almost festive mood suddenly changes. It is about 9.30 am. Our bus has left Brazil avenue and plunged into the heart of Maré, a favela where about 150,000 people live, built on an old marsh. A barely perceptible whistle can be heard. At the same time, our driver slows down. We crawl along at barely 20 kph, our previous carefree chatter replaced by silence and growing tension.Just a few metres away, standing back, a “little soldier” controls the traffic flowing in and out of the “territory”. No vindictive gesture or violent words. He is just there, clearly visible, leaning nonchalantly against the wall, an impressive weapon held against his leg. He can’t be more than 15 or 16 years old. Around him, we can see ordinary scenes of life in the quarter; children playing on some rubble, a few men drinking beer in front of a refreshment stall, some pretty teenagers crossing the street to the bus stop. The scene barely lasts 5 minutes. Yet it seems to go on forever. Inside the bus, the group dynamic has broken down. Embarkation has given way to suspension. Faces are frozen, hands are clenched, our bodies stiff in our seats in a collective movement of withdrawal, introspection and de-synchronization. We have all moved from an encompassing state, reflecting the shared sensation of relaxation and closeness, to a state of tension and hypnosis. The implicit violence of one person’s presence has created the conditions for a paralyzing anxiety and fascination. A few minutes later, when we get off the bus, two of my colleagues explain to me that the driver had “simply” gone the wrong way in. Here in the heart of the favela, territory is shared at the cost of daily controls of all incoming and outgoing traffic, and access to another territory is a matter of constant negotiation. The example is undoubtedly extreme. Yet it clearly illustrates the questions we have been asking ourselves for two years now on the issue of appeasing pedestrian mobility in the 21st century3. Although environmental issues widely publicize thinking on the reorganization of urban mobility in our Western societies, the debate on the necessary pacification of the street (and favelas) in emerging societies like Brazil are clearly fuelled by feedback in hygienist, security-conscious terms. In both cases, the measures introduced create new types of ambiance, which affect an era’s sensitivities and sociability in the ways we know since the works of Simmel (1903), Kracauer (1926) or Benjamin (1936). Rather than worrying about urban pathologies, our attention focuses on the variations of ordinary experience, their plasticity and how they are embodied in the pedestrian’s daily life. All these are societal questions that the issue of ambiance can address. |
1. Cet édito reprend les éléments d’une recherche collaborative menées entre la France, le Brésil et le Canada sur le thème de « l’aseptisation des ambiances piétonnes » et financée dans le cadre du programme PIRVE du CNRS – MEEDDM : Thomas, Rachel (sous la dir. de), Balez Suzel, Bérubé Gabriel, Bonnet Aurore (2010). L’aseptisation de la ville piétonne au XXIe siècle. Entre passivité et plasticité des corps en marche. PIRVE CNRS MEEDDM, Rapport de recherche Cresson n°78, décembre. 2. Coordonné par Fabiana Dultra Britto (PPGDANCA/UFBA), Paola Berensetein-Jacques (PPGAU/UFBA) et Margareth da Silva Pereira (PROURB/UFRJ), Corpocidade est une manifestation qui, depuis 2008, réunit chercheurs, professeurs des universités, étudiants et artistes autour du thème de l’esthétique urbaine. Dans sa seconde édition, en novembre 2010, il s’agissait de s’interroger sur la question du confit et de la dissension dans l’espace public. Pour plus de détails, se reporter à : ![]() 3. Nous poursuivons actuellement ce questionnement à la faveur de la coordination d’une réponse à l’appel à projet de l’ANR « E.space et Territoire » sur le thème des « énigmes sensibles des mobilités urbaines contemporaines ». | 1. This editorial includes elements of a study jointly conducted by France, Brazil and Canada on the subject of “sanitizing pedestrian ambiances” financed by the CNRS–MEEDDM PIRVE programme: Thomas, Rachel (under the direction of), Balez Suzel, Bérubé Gabriel, Bonnet Aurore (2010). L’aseptisation de la ville piétonne au XXIe siècle. Entre passivité et plasticité des corps en marche. PIRVE CNRS MEEDDM, research report Cresson no. 78, December. 2. Coordinated by Fabiana Dultra Britto (PPGDANCA/UFBA), Paola Berensetein-Jacques (PPGAU/UFBA) and Margareth da Silva Pereira (PROURB/UFRJ), Corpocidade is an event, begun in 2008, which brings together researchers, university professors, students and artists, around a theme of urban aesthetics. In its second edition, in November 2010, it dealt with the issue of conflict and dissension in public areas. For more information, see: ![]() 3. We are currently pursuing this questioning to coordinate a response to the call for papers by the ANR “Espace et Territoire” on the theme of the “noticeable riddles of contemporary urban mobility”. |
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La découverte de la vallée du M’zab par l’architecte Jean Bossu en 1938 : rendre compte des ambiances ?Au cours de l’automne 1938, Jean Bossu (1912-1983) se rend à Ghardaïa, principale cité de la pentapole de la vallée du M’zab[1], au cœur de l’Algérie. Ce voyage est en partie motivé par Le Corbusier - son premier employeur de 1929 à 1933 - qui souhaite que son jeune collaborateur y réalise pour lui des relevés et croquis d’une architecture vernaculaire qu’il admire[2]. Si Bossu ne reste pas à Ghardaïa aussi longtemps que Le Corbusier l'aurait souhaité[3], il y reviendra à de nombreuses reprises, en particulier à partir de 1954, au moment où il exercera lui-même en Algérie. Les quelques mots et croquis laissés par Bossu permettent de saisir ce qui frappe l’architecte et qui, en réalité, marque essentiellement l’étroite intrication de l’architecture avec l’ensemble des données locales, qu’elles soient sociales, climatiques, topographiques et constructives. Ainsi, il observe et dessine ces architectures et aménagements de la vallée du M’zab avec leurs habitants, leurs animaux – particulièrement les dromadaires - et leurs végétaux, comprenant immédiatement l’équilibre qui les lie. Il s’attache à décrire les « microclimats que l’on trouve dans les maisons ». Il croque les nombreux dispositifs d’irrigation et d’adduction d’eau indispensables à la vie locale (puits, barrages, retenues, déviations, réseaux). Il détaille sur plusieurs dessins la manière étonnante qu’ont les commerçants d’occuper la place du marché de Ghardaïa, s’installant sur la diagonale du rectangle qu’elle forme plutôt que parallèlement à ses côtés. Ces dessins renseignent également sur la répartition précise des marchands et de leurs produits sur la place : dattes, chèvres, chameaux, fromage, bois de chauffage, bois de construction, fruits et légumes, tissus, etc. La simple évocation de ces marchandises rend presque palpables leurs odeurs et leurs couleurs. Accordée à la diversité de commerçants et de chalands représentés, elle donne une idée des ambiances qui devaient s’y déployer. Sur cette place, il repère la modeste aire des prières, aujourd’hui disparue, et dessine la manière si particulière dont les animaux sont attachés, en grappe, comme sur les photographies plus tardives de Manuelle Roche[4]. Un autre croquis montre une vue générale de Ghardaïa et révèle que l’architecture épouse la topographie du site - une colline - et la souligne en disposant à son sommet le minaret de la mosquée. Divers dessins de bâtiments montrent la simplicité de l’architecture et décrivent minutieusement les dispositifs banals de protection contre les agressions du soleil du désert : portiques et encorbellement générateurs d’ombres, murs presque pleins percés de minuscules ouvertures, etc. L’architecte ne s’attache finalement que très peu à ce qui fait l’ordinaire d’un croquis d’architecte pour privilégier une représentation plus fine de ce qui fait la complexité d’une situation spatiale. Dans les années trente, la mécanisation n’a pas encore véritablement atteint la vallée et les déplacements se font encore essentiellement à pieds, à dos d’âne et en dromadaire. Cette vision archaïque de son architecture, qui combine et révèle dans une cohérence exceptionnelle les pratiques sociales, les modes de déplacements, les contraintes climatiques, les ressources naturelles et les données topographiques, est de plus d’une beauté plastique « puriste » époustouflante. Cette découverte devient pour Jean Bossu « extraordinaire », un moment essentiel de sa formation, un ferment de ses positions ultérieures d’architecte, une question pressante de représentation. | The discovery of the M’zab valley by architect Jean Bossu in 1938: recounting atmospheres?During the autumn of 1938, Jean Bossu (1912-1983) travelled to Ghardaïa, the main city of the cluster of five in the M’zab[1] valley, in the heart of Algeria. This journey was in part motivated by Le Corbusier - his first employer from 1929 to 1933 - who wanted his young employee to carry out surveys and sketches for him of a vernacular architecture he admired[2]. Although Bossu did not stay at Ghardaïa for as long as Le Corbusier would have wished[3], he returned there on many occasions, in particular from 1954 onwards, at a time when he himself was working in Algeria. The few words and sketches Bossu left to posterity show us what struck the architect and what effectively and in essence marks the close and complex interweaving of the architecture with all the local features, be they social, climatic, topographical or structural. He observes and draws this architecture and the development of the M’zab valley with its inhabitants, animals – camels in particular - and plants, instantly understanding the balance that binds them together. He makes a point of describing the “microclimates one finds in their homes”. He sketches the many irrigation and water conveyancing systems that are essential to local life (wells, dams, reservoirs, diversions, networks). In several drawings he details the surprising manner in which traders set up their stalls in the Ghardaïa marketplace, on the diagonal of the rectangle formed by its sides rather than parallel to them. These drawings also give information on the precise distribution of the merchants and their products on the marketplace: dates, goats, camels, cheese, firewood, timber, fruit and vegetables, fabrics, etc. Just the evocation of these goods makes their smells and colours almost palpable. Matching the diversity of the traders and customers portrayed, it gives one an idea of the atmospheres that one imagines reigned there. On this marketplace, he spots the modest praying area, no longer there, and draws the singular way in which the animals are tethered, in bunches, as the subsequent photographs of Manuelle Roche[4] show. Another sketch is a bird’s-eye view of Ghardaïa and shows that the architecture follows the topography of the site - a hill - and accentuates it by placing the mosque’s minaret on its summit. Several drawings of buildings show the simplicity of the architecture and painstakingly describe the commonplace arrangements for shielding oneself from the desert sun: porticos and corbelled constructions affording shade, virtually solid walls with tiny openings, etc. In fact the architect hardly endeavours to produce a normal architect’s sketch, preferring a more refined representation of what makes up the complexity of a spatial situation. In the thirties, mechanization had not yet reached the valley, and people moved around mainly on foot, on donkeys and camels. What is more, this archaic vision of its architecture, which combines and reveals in an exceptionally consistent manner the social practices, means of travel, climatic constraints, natural resources and topographical data, is also characterized by a staggering “purist” plastic beauty. This discovery became “extraordinary” for Jean Bossu, a pivotal milestone in his training, a ferment of his subsequent standpoints as an architect, a pressing question of representation. |
1. La vallée du M’zab a été classée au Patrimoine mondial, culturel et naturel de l’Humanité par l’UNESCO en 1982. 2. Voir les pages consacrées à la vallée du M’zab dans Le Corbusier, La ville radieuse, soleil, espace, verdure, Éditions Vincent, Fréal & Cie, Paris, 1933 (réédition, 1964), p. 230-233. 3. Entretien inédit de Jean Bossu, le jeudi 8 novembre 1979, partiellement reproduit dans Riccardo Rodinò, « 20 ans de continuité dans les ruptures, Jean Bossu en Algérie », Techniques & Architecture, n° 329, février-mars 1980, p. 70-73. 4. Manuelle Roche, Le M’zab, architecture Ibadite en Algérie, Arthaud, Paris, 1970. Manuelle Roche est photographe et la compagne d’André Ravéreau lorsque celui-ci se voit confier la protection de la vallée du M’zab, au milieu des années 1960. Voir, tout particulièrement : André Ravéreau, Le M’zab, une leçon d’architecture, Éditions Sindbad, 1981. | 1. Mzab Valley was listed as a UNESCO World Natural and Cultural Heritage Site in 1982. 2. See the pages devoted to the M’zab valley in Le Corbusier, La ville radieuse, soleil, espace, verdure, Éditions Vincent, Fréal & Cie, Paris, 1933 (republished in 1964), p. 230-233. 3. Exclusive interview with Jean Bossu on Thursday 8 November 1979, partially reproduced in Riccardo Rodinò, “20 ans de continuité dans les ruptures, Jean Bossu en Algérie”, Techniques & Architecture, n° 329, February-March 1980, p. 70-73. 4. Manuelle Roche, Le M’zab, architecture Ibadite en Algérie, Arthaud, Paris, 1970. Manuelle Roche is a photographer and the companion of André Ravéreau when the latter was entrusted with the protection of the M’zab valley in the mid-1960s. See more especially: André Ravéreau, Le M’zab, une leçon d’architecture, Éditions Sindbad, 1981. |
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- Edito N°38 - Ambiance urbaine et sports urbains : des représentations aux... | Urban atmosphere and urban sports: from representations to..., Florian Lebreton
- Edito N°37- La promenade : dialogue sensori-moteur entre l'homme et l'espace | "Promenade" as sensori-motor dialogue between man and space, Catherine Szántó
- Edito N°36 - Quand l'expérimental rencontre l'ordinaire | When experimentation meets daily experience, Ricardo Atienza et al.
- Edito N°35 - Le nez au vent | Whiffs of Ambiances, Pamela Roberts
- Edito N°34 - Définir les lignes sonores de nouveaux développements urbains | Mapping out the soundlines of new urban developments, Michelle Duffy et al.
- Edito N°33 - Explorations sur la qualité sonore des espaces de vie | Explorations on the sonic quality of lived spaces, Laura De Caro
- Edito N°32 - Les ambiances dans le processus de conception architecturale : l’exemple de... | The atmosphere during the design process: the case of..., Céline Drozd
- Edito N°31 - Territoires acoustiques : Culture du son et vie de tous les jours | Acoustic Territories: Sound Culture and Everyday Life, Brandon Labelle
- Edito N°30 - Errance solitaire avec un nuage : le Web 2.0 et l’expérience des... | Wandering lonely with a cloud: Web 2.0 and the experience of..., Chris Tweed
- Edito N°29 - Transects urbains | Urban Transects, Steven Melemis et al.
- Edito N°28 - "Haute fidélité" | "High Fidelity", Jean-Michel Roux
- Edito N°27 - Le végétal urbain, un régulateur d’ambiances ? Í Does urban vegetation regulate ambiances?, Marjorie Musy
- Edito N°26 - L’environnement sensible des grands ensembles... | A sensitive atmosphere in large urban housing "grand ensemble"..., Amar Bensalma
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EDITO N°38
16/12/2010
Florian Lebreton
Sociologue et chercheur associé au Laboratoire d’Anthropologie et de Sociologie (LAS-LARES), Université Européenne de Bretagne, Rennes, France
Sociologist and associated researcher at "Laboratoire d’Anthropologie et de Sociologie (LAS-LARES)", Université Européenne de Bretagne, Rennes, France
Ambiance urbaine et sports urbains : des représentations aux expressionsDans la relation que le citadin entretient avec son environnement, la question des pratiques corporelles, physiques et/ou sportives nous montre que la mise en mouvement des corps peut-être un moyen d’agir à la fois dans et sur la ville, au cœur de l’espace public urbain. Pour cette raison, la notion d’ambiance peut aussi être éclairée à partir d’une analyse de l’urbanité, ou plutôt des urbanités, car l’ambiance met en scène une pluralité de sensibilités. Rappelons, après Pascal Amphoux1, qu’une ambiance serait « indéfinissable » mais renverrait plutôt aux dimensions de la sensibilité, altérité (humaine, matérielle ou spatiale) et temporalité. Dans le cadre de mes travaux, j’étudie les pratiques ludo-sportives (Parkour, Street-golf, Spéléologie urbaine, Grimpe urbaine, etc.) et les pratiquants qui inventent une urbanité ludique2 et de nouvelles formes culturelles produites par la logique même de leur décor. La sensibilité à l’espace est ici de mise. Comment expliquer par exemple que le tracer (celui qui pratique le parkour) insiste sur « le fait de pouvoir sauter d'immeuble [leur] fait découvrir la troisième dimension de cet espace qui [les] entoure, cet espace qu'avant [le] premier saut [ils] ne considéraient que comme plat » ? Si les sociologues du sport s’accordent à penser que les espaces sportifs changent de nature, ce n’est pas par hasard. Les espaces de pratique se diversifient sous le poids des dimensions sensible et environnementale, ce que nous montrent les travaux sociologiques, anthropologiques et phénoménologiques actuels. Les pratiques ludo-sportives qui émergent (échasses urbaines, parkour, danse, grimpe, golf, course d’orientation, etc.) ne sont plus conditionnées dans des aménagements spécifiques – en ce qui concerne les sports urbains - mais s’ouvrent petit à petit à l’« Ambiance architecturale » qui nourrit les pratiquant(e)s de tout un imaginaire3, cet univers du possible. Ici par exemple, on peut voir respectivement un spéléologue, un golfeur, un sauteur puis un tracer faire l’expérience de lieux donnés comme le réseau souterrain, la rue, l’immeuble ou le square. On perçoit comment la notion d’ambiance peut être aussi mobilisée en science du sport car elle cristallise les dimensions sensible nous l’avons dit, mais aussi temporelle – ce qui marque le passage des représentations aux expressions4 – dans les appropriations ludo-sportives de l’espace public urbain. Dans ce travail, la notion d’ambiance décrit alors un cadre urbain ordinaire (rues, immeubles, parcs, jardins, mobiliers urbains, etc.) mais propice aux expériences corporelles : sauter de toits en toits, déambuler dans le réseau souterrain d’une ville, jouer avec les mobiliers, parcourir les architectures… La transformation du cadre ordinaire, impersonnel, oppressant et repoussant parfois, suppose une transposition du sens – l’urbanisme fonctionnaliste par exemple – par la construction individuelle et/ou collective d’une nouvelle ambiance ou atmosphère ludique. Ce mouvement de différenciation5, proposant « une alternative à d’autres approches de l’environnement urbain », fait valoir un agir ludo-sportif et sensible qui critique ce cadre urbain qui est là, devant nos yeux. Ainsi, les déplacements et déambulations sur les trottoirs, bancs, escaliers, murs et murets, toits ou autres tremplins « naturels » donnent à ces activités une finalité à la fois esthétique et énergétique. L’objectif est de développer des mouvements efficaces, fonctionnels et utiles au développement de l’individu et à son adaptation dans l’environnement urbain. La troisième finalité est alors urbanistique, au sens où le pratiquant construit ainsi un discours sur la ville en s’exerçant, sur l’espace public, à une forme sportive de délibération. Le changement d’atmosphère – pour reprendre les analyses de V. Nahoum-Grappe6 – entendu comme une expérience sociale de l’espace et du temps, est alors le principe qui guide ces pratiquants à investir la ville de leurs conduites corporelles et vertigineuses. | Urban atmosphere and urban sports: from representations to expressionsIn the relationship the city has with its environment, the issue of physical practices, physical and / or sports shows us that the setting in motion of bodies can be a way to act in both the city and the heart of urban public space. For this reason, the notion of atmosphere can also be illuminated from an analysis of urban, or rather urbanities, because the atmosphere showcases a number of sensitivities. Remember, after Pascal Amphoux that atmosphere is "indescribable", but rather refers to the dimensions of sensitivity, alterity (human, material and space) and temporality. As part of my work, I study sports practices edutainment (Parkour, Street Golf, Caving urban, urban climbing, etc.) and the practitioners who invent a playful urbanity and new cultural forms produced by the logic of their decor. The sensitivity to space is up here. How to explain for instance that the tracer (the one who practices parkour) insists on "being able to jump from building [their] introduces the third dimension of this space [the] surrounding this space before [the] first jump [they] did not consider that as a meal? While sport sociologists agree that the changing nature of sports facilities, it is not by chance. Areas of practice are diversifying under the weight of the sensitive and environmental. Practices emerging edutainment sports (jumping stilts, parkour, dancing, climbing, golf, orienteering, etc.) are no longer packaged in specific facilities - in regard to urban sports - but open slowly to the "architectural atmosphere" that feeds the practitioners of an entire imaginary world of this possible. Here, for example, we can see, respectively, a caver, a golfer, a jumper and then a draw experience from a premise as the underground network, the street, the building or the square. We perceive how the concept of environment can also be mobilized in sports science as it crystallizes the dimensions we say sensitive, but also time-marking the passage of representations to expressions - in edutainment appropriation of urban public space. In this work, the concept of atmosphere describes an urban plain (streets, buildings, parks, gardens, street furniture, etc.) but conducive to physical experiences: jumping from roof to roof, walk through the underground network of city, playing with the furniture, go architectures. The transformation of ordinary, impersonal, oppressive and sometimes repulsive requires a transposition of meaning –functionalist urbanism- example by building individual and / or a new atmosphere of collective or playful atmosphere. This movement of differentiation, proposing "an alternative to other approaches to the urban environment," says one ludo-sensitive urban setting that is critical of what is there before our eyes. Thus, travel and strolling on sidewalks, benches, stairs, walls and retaining walls, roofs or other springboards "natural" give these activities a purpose of both aesthetic and energy. The objective is to develop efficient movement, functional and useful for individual development and its adaptation in the urban environment. The third purpose is so urban, meaning that the practitioner builds a discourse on the city exerted over public space, an athletic form of deliberation. The change of atmosphere - to use the analysis of V. Nahoum-Grappe - understood as a social experience of space and time, then, is the guiding principle behind these practitioners to invest the city of their body lines and dizzying. |
1. Amphoux, P. (2007). « La notion d’ambiance. Un outil de compréhension et d’action sur l’espace public ». Capron, G., Haschar-Noé, N. (coordonné par), L’espace public urbain : de l’objet au processus de construction. Presses Universitaires du Mirail, pp. 71-81. 2. Lebreton, F. (2010). Cultures urbaines et sportives alternatives. Socio-anthropologie de l’urbanité ludique. Paris: L’Harmattan. 3. Lebreton, F. (2010). « Des lieux ouverts aux lieux cachés. Une analyse socio-spatiale des déambulations sportives à Paris ». Les Annales de la recherche urbaine n°106, pp. 100-109. 4. Amphoux, op.,cit. 5. Thibaud, J-P. (2008). L’ambiance, chemin faisant : vers une perspective internationale. Disponible sur ![]() 6. Nahoum-Grappe Véronique. Les choses échappées à la vue. In: Communications, 75, 2004. Le sens du regard. pp. 197-218. |
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La promenade : dialogue sensori-moteur entre l'homme et l'espaceurbLa promenade - l'une des multiples manières de marcher - est une attitude de marche particulière, où le marcheur / promeneur se rend disponible aux sollicitations des qualités spatiales polysensorielles des lieux qu'il traverse. Pour bien saisir l'enjeu d'une réflexion sur la promenade, le terme "sensoriel" n'est pas à prendre ici comme se référant aux cinq sens traditionnels, mais selon la définition des sens donnée par Berthoz, c'est-à-dire correspondant "à des fonctions perceptives (...), restitué[s] comme une direction qui accompagne le sujet vers un but"1. Une telle définition permet de comprendre la spatialité d'un espace comme l'ensemble des "offrandes" d'intentionnalité motrices potentielles proposées au promeneur2. L'espace fait morphologiquement sens pour nous selon les mouvements qu’il rend possibles3 ; il nous apparaît comme une constante invitation au mouvement, comme un partenaire dans un dialogue qui prend la forme d'une promenade. L'ambiance est alors ce qui, dans notre environnement, informe le dialogue spatial que nous engageons avec lui, en tant qu'êtres doués de mouvement. La promenade, mêlant perception et imagination, est un ‘acte de construction de sens’, requérant la ‘compétence de situation’ du promeneur. La reconnaissance théorique du rôle du mouvement pour la perception semble récente. Pourtant, la sensibilité au mouvement est nécessairement présente dans tout art de faire, toute poïésis spatiale, et aussi dans toute description d'actes spatiaux, bien que souvent de manière indirecte, car non thématisée. On la retrouve ainsi là où bien des discours contemporains sur les jardins la chercheraient le moins - dans les textes écrits aux XVIIe et XVIIIe siècles sur ce que l'on appelle aujourd'hui le "jardin à la française", qu'il s'agisse de traités d'art des jardins ou de descriptions de promenades dans le jardin de Versailles. Au travers de la lecture de ces textes, la promenade apparaît comme une composition spatio-temporelle mettant en jeu tous les sens - la vision, l'ouïe, l'odorat, mais également le sens du mouvement, le sens de l'orientation. Elle ne peut cependant se comprendre comme une simple succession d’impressions sensorielles, mais comme une série de mouvements motivés, orientés vers un but. Le jardin est perçu comme un ensemble d’« unités spatiales », clairement délimitées et structurées, comprises comme telles au travers continuités et des ruptures sensibles, et du jeu entrelacé des possibilités et des contraintes motrices que leurs formes physiques permettent, selon les régularités que le mouvement du promeneur fait émerger. La compréhension complexe de l’organisation du jardin au-delà de l'échelle de l'espace directement perçu se construit au cours de la promenade, au fur et à mesure d'expériences spatiales locales et des vues que permettent les axes, mettant en jeu la reconnaissance visuelle des espaces déjà vus ou visités, la mémoire corporelle du trajet parcouru, et les attentes, en partie culturellement constitués, du promeneur. L'étude de Versailles comme site offert à la promenade, révèle la richesse et la variété des « stratégies morphologiques » du jardin, c'est-à-dire des modalités d'émergence du sens morphologique des espaces que recèlent ses formes physiques. La polysémie spatiale du jardin, qui prend corps dans les choix moteurs et perceptuels que l'espace propose au promeneur, permet de penser le jardin comme « œuvre ouverte »4, et la promenade comme une activité interprétative pré-prédicative fondée sur l'intelligence de situation. C’est ainsi que l’on peut parler de la promenade comme d’une quête esthétique d’intelligibilité morphologique. Chaque promenade est une actualisation de sens, c'est-à-dire une construction d’intelligibilité spatiale, qui donne forme et achève le jardin comme œuvre d'art, toujours et chaque fois autrement. Ce texte est un résumé de la thèse de doctorat de l'auteur, "Le promeneur dans le jardin : de la promenade considérée comme acte esthétique. Regard sur les jardins de Versailles", soutenue en décembre 2009 à l'ENSA Paris- La Villette / Paris VIII. | "Promenade" as sensori-motor dialogue between man and spaceWandering, or "promenade", is a specific walking attitude in which the walkers allows themselves to be open with all their senses to the spatial qualities of the spaces they cross. "Senses" here doesn't only mean the five traditionnal senses; the word is used following the definition proposed by Berthoz : senses are linked to perceptive functions, they are oriented according to the perceiving subject's intentional attitude1. Such a definition allows one to understand the spatiality of a given space as the ensemble of potential "affordances"2 it offers, according to the perceiver's motor abilities. Space becomes morphologically meaningful through the motion it allows us3; it appears to us as a constant invitation to movement, as a partner in a dialogue that takes the shape of a promenade. Ambiance is that part of our environment that informs the spatial dialogue we pursue as motile beings. Promenade, mixing perception and imagination, is an act of meaning-building, needing the promeneur's "situation competency". The theoretical recognition of the role of movement in perception is a recent one. Yet sensitivity to movement is necessarily present in all spatial acts, as well as, although in an indirect, non-thematic way, in all descriptions of spatial acts. We can thus find it where most contemporary discourse on gardens would be less inclined to look for it - in texts on the so-called "French classical garden" written during the 17th and 18th century, such as theoretical treatises or descriptions of walks in the gardens of Versailles. Reading these texts, promenade appears as a spatio-temporal composition playing with all the senses - sight, hearing, smell, but also sense of movement and of orientation. However, it is not lived as a simple succession of sensory impressions, but as a series of motivated, goal-oriented movements. The garden is perceived as an juxtaposition of "spatial units", clearly delimited and structured, understood as such through the sensory continuities and discontinuities experienced during the promenade, the interwoven patterns of possible and constrained motions allowed by their physical forms, and the regularities that the motion revealed. During their promenade, the visitors build their understanding of the complexe structure of the garden beyond the immediately perceptible scale, using the temporal succession of local spatial experiences and distant views allowed by the axes, together with the visual recognition of places already seen or visited, bodily memory of the path followed, and expectations (which are in part culturally construed). Studying Versailles as a site for promenade, one encounters the richness and variety of the "morphological strategies" of the garden, that is, the modalities of appearance of the morphological meaning allowed by its physical shape. The spatial polysemy of the garden, actualized through the motor and perceptual choices of the visitors, allows one to consider the "promenade" as a pre-predicative interpretative activity, based on situational intelligence. This is why it is possible to talk about the garden as an "open work"4, and "promenade" as an aesthetic quest of morphological intelligibility. Every promenade is an actualization of meaning, that is, a construction of spatial intelligibility, which shapes and completes the garden as a work of art, always and every time differently. |
1. A. Berthoz, Le Sens du mouvement, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 287. 2. "Offrande" est le terme proposé par J-P. Thibaud pour la traduction du mot anglais "affordance" inventé par J.J. Gibson, The Ecological Approach to Visual Perception, Boston, Houghton Mifflin, 1979. 3. E. Straus, Du Sens des Sens, Grenoble, Editions Jérôme Millon, 1989 (1935). 4. U. Eco, L’oeuvre ouverte, Paris, Seuil, 1965. | 1. A. Berthoz, The Brain's Sense of Movement, Harvard University Press, 2000. 2. Word coined by J.J. Gibson, The Ecological Approach to Visual Perception, Boston, Houghton Mifflin, 1979. 3. E. Straus, The Primary World of Senses: a Vindication of Sensory Experience, London, Collier-MacMillan, 1963. 4. ECO (Umberto), The Open Work, Cambridge MA, Harvard University Press, 1989. |
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EDITO N°36
18/10/2010
Ricardo Atienza
Architecte. Docteur en Urbanisme/Architecture. Enseignant à Konstfack, University of Arts and Crafts, à Stokholm, Suède. Chercheur associé au Laboratoire Cresson, France
Architect. PhD in Urban Studies/Architecture. Guest Lecturer at Konstfack, University of Arts and Crafts, Stockholm, Sweden. Associate researcher at Cresson research group, France
Damien Masson
Docteur en Urbanisme/Architecture. Chercheur associé au Laboratoire Cresson, France
PhD in Urban Studies/Architecture. Associate researcher at Cresson research group, France
Quand l'expérimental rencontre | When experimentation meets daily experienceHow to evaluate in situ the impact of audio announcements in a place of intense public use such as the underground? We recently addressed this issue in a research project1 requested by RATP (Company of Paris Undergournd) that questioned the understanding of these auditory messages by passengers, in order to propose possible improvements. To this purpose, we implemented an inquiry method that combined daily experience and simulacrum, in order to collect the impressions of subway travellers when hearing the diffused sound messages. Announcements were thus not solely evaluated in terms of their understanding, but also on their "practical effect", i.e.: what does an announcement provoke in the course of an action? The simulacrum as a basic principle for a " situated simulation" Because of the impossibility to broadcast fictitious messages in the populated underground, we developed a protocol based on a principle of imitation in order to evaluate specific sound announcements in the subway.We thus composed different sound messages that were listened by voluntary respondents in a Paris underground station, using for this a sound portable player. They were then invited to make sonic crossings, i.e. performing walks in which the introduced sound environment overlays (and sometimes replaces) reality while trying to remain as close as possible to it. The announcements and the “scenarios” were prepared in advance, as follows: Announcements staging Recorded in conditions close to those of a studio, the following message was presented to respondents using an iPod equipped with "permeable" earbuds. |
Pour favoriser au mieux l’insertion de cette annonce dans l’environnement sonore de la situation d’enquête, et par là même évaluer le plus finement possible sa réception en situation, ce message a du être mis en scène. Ainsi, un ensemble de filtres lui ont été appliqués pour s’approcher au plus près des conditions sonores de diffusion en station, caractérisée en particulier par des effets de réverbération (d’origine architecturale) et de filtrage (dus au matériel de diffusion). | In order to properly integrate this message in the sonic environment of the survey situation, and thereby assess its reception as accurately as possible in a real situation, this message had to be staged. Thus, a set of filters have been used to reach the broadcasting conditions of a metro station, characterized in particular by reverb (due to the architectural specificities of the space) and filtering (due to audio diffusion equipment). |
Dans un troisième temps, le message a été « habillé » par un contexte sonore correspondant aux situations de l’expérience de terrain en étant inséré sur un enregistrement préalable de la même ambiance sonore correspondant à la situation d’enquête : ici une des galeries de la station Châtelet. | In a third step, the message was "dressed up" with the sound background corresponding to the environment of the inquiry: on the following extract, one of the galleries from Châtelet station. |
In situ L’intention méthodologique est de placer les enquêtés en situation quasi quotidienne. Ainsi, les annonces ne sont pas évaluées pour elles seules, mais sont plutôt observées leurs effets sur le cours d’action d’un enquêté placé en situation de voyageur quotidien. On approche ainsi, sans la porter jusqu’aux dernières conséquences, la situation de « jeu de rôle », où l’implication de la personne dans l’action (l’intention dans ce cas) devient un élément fondateur. Faisant émerger la parole en contexte, ce protocole de nature plutôt expérimentale permet toutefois de créer une situation de réception des annonces sonores aussi proche que possible de la réalité de l’environnement concerné. Pour cela, il a été particulièrement utile de faire écouter certains messages en mouvement, dans des environnements sonores diversifiés (galeries, quais, escalators) afin : 1) que leur écoute ne soit pas facilitée par l’instrumentation technique, et surtout 2) que la situation – et non une « idée » de celle-ci – soit transformée en profondeur. Certaines observations témoignent en faveur de l’effet pragmatique du protocole. Nous avons ainsi pu remarquer un ensemble d’attitudes relatives à l’émergence des messages en situation :
| In situ Our methodological intention is to place the interviewees in an almost daily/ordinary condition. By doing so, the sound announcements are not only evaluated for the message they carry, but their effects are rather observed on the course of an action: a respondent placed in the situation of an everyday passenger facing an audio message while he/she is moving. We thus try to approach a "role-play" situation, where the person's involvement in the action (his/her intention in this case) becomes essential. This protocol allows the creation of an experimental situation for the reception and later evaluation of audio announcements, while enacting in the closest conditions to the reality of their environment. For this, it was particularly useful to propose the interviewees to hear the messages in motion through diverse sonic environments (tunnels, platforms, escalators) in order to: 1) avoid the careful listening facilitated by the technical instrumentation, and especially 2) stage a deeply transformed situation – and not just an idea of it. Our observations point out the pragmatic effect of the protocol used. We indeed noticed a set of attitudes related to the emergence of these messages in situation:
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1. Cf. ATIENZA R. & MASSON D. (2010, à paraître). Des annonces à l’ambiance. Qualification et amélioration des situations de diffusion et de réception des annonces sonores dans le réseau ferré de la RATP. Rapport de recherche. Vincennes : RATP Département Développement Prospective |
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EDITO N°35
13/09/2010
Pamela Roberts
Consultante en design d'odeurs, France
Fragrance design consultant, France
Le nez au ventDe chaque être, de chaque objet, de chaque lieu s’échappe un souffle de molécules, un message odorant intercepté par nos cils olfactifs et interprété, souvent à notre insu, par chacun d’entre nous. Pas besoin de flairer pour sentir, la mécanique ne s’arrête jamais. Cette cinquième dimension de l‘espace est immatérielle, volatile, invisible, souvent indicible, mais capitale. Les odeurs animent, structurent, colorent… l’atmosphère, elles mettent l’ambiance. Et si l’on y prêtait attention ? Si, comme le parfumeur, on se promenait le nez au vent ? Dimension invisible personnelle ou collective? Les odeurs imprègnent nos images, nos souvenirs, même les plus intimes, qu’on y prête attention ou non. Odeur voluptueuse du seringa fleurissant dans le square près du banc, celle des premiers baisers volés… Odeur de poudre du 14 juillet dont l’intensité croît comme la fumée au fil du feu d’artifice, celle de la fête et de l’émerveillement partagés… odeur d’eau alanguie et métallique du fleuve citadin, celle de la promenade dominicale…Et si, paradoxalement, cette dimension cachée de l’ambiance, était la mieux partagée ? Créer la familiarité ? L’odorat est le déclencheur de mémoire le plus puissant, les avancées extraordinaires des neurosciences l’ont démontré. Quel pouvoir d’évocation irrésistible les parfumeurs ont entre les mains pour enchanter le monde, le quotidien ! Pourquoi ne pas les faire contribuer à la création de l’ambiance en imaginant les messages odorants émis par l’environnement? Faire ressurgir parfois certains souvenirs pour créer la familiarité et le plaisir (en suivant une démarche intuitive partagée, ou en la validant par des tests et enquêtes aujourd’hui scientifiquement établis). Créer la surprise ? Les odeurs nous jouent aussi des tours, nous surprennent et nous transportent ailleurs. Tout à coup, en pleine ville, dans l’air surchauffé, chargé de vapeurs de bitume, d’ozone, de carburant, s’impose l’image d’une scierie montagnarde : l’odeur fraîche et humide du plâtre s’infiltre à travers la palissade en bois de pin qui cache un chantier, exhalant au soleil ses effluves résinés. Alors on se dit «Il se passe quelque chose ici ! » Pourquoi ne pas jouer de ces effets de surprise, de contraste, de décalage… ? Pour suggérer un parcours, souligner ou créer des espaces, s’accorder à la lumière et au son, ou au silence et à l’obscurité… contribuant ainsi à la synergie des sens ? Diffuser les messages odorants ? Volatiles, les odeurs sont insaisissables, indomptables. Et si cette volatilité, cette mobilité, étaient leurs meilleurs atouts? On sait aujourd’hui maîtriser les flux d’air et les odoriser grâce à des systèmes de diffusion programmables extrêmement sophistiqués. Mais on peut aussi imaginer cette cinquième dimension de l’ambiance comme un travail sur « l’émanation des lieux ». En jouant sur les matériaux (naturellement odorants, parfumés dans la masse ou en surface…), sur les végétaux plantés (arbres et plantes aromatiques), sur tous les éléments présents. Et en choisissant ses alliés pour propager dans l’ambiance les messages odorants imaginés : Le vent, bien sûr, qui fait claquer des bannières et frissonner des paravents parfumés, qui se charge d’effluves au dessus d’un bassin, à travers une pergola couverte de glycine, une place plantée de tilleuls... Mais aussi l’eau, la vapeur d’eau (merveilleux vecteur d’odeurs), la fumée, la chaleur etc. (Ces modes de diffusion discontinue correspondent à la façon dont notre odorat fonctionne : notre cerveau efface l’odeur d’un lieu après quelques secondes d’immersion ; inutile donc de le saturer, mieux vaut le surprendre !) Pourquoi ne pas convoquer nature, saisons, humeurs, et les vertus aromachologiques des plantes, les voyages, l’ailleurs… pour enrichir l’ambiance et créer les émotions qui ancreront l’esprit du lieu dans notre mémoire ? | Whiffs of AmbiancesEvery living being, every object, every place exhales a breath of molecules, a fragrant message intercepted by our olfactory lashes and interpreted by each of us , often without our knowing it.No need to sniff, we smell, the machine never stops. This fifth dimension of space is immaterial, volatile, invisible, often inexpressible, but essential. Smells lead structure, color and life…to the atmosphere, they set the tone of the ambiance. What if we paid more attention to them? What if, as perfumers do, we went about whiffing the breeze of our surroundings? A personal or collective invisible dimension? Smells impregnate our images, our memories, even the most intimate ones, no matter whether we pay attention to them or not. The voluptuous scent of the mockorange, blooming next to the public garden bench, is that of our first stolen kisses… The exciting smell of gunpowder, thickening as the smoke in the course of the fireworks? Shared amazement and celebration… The languid and metallic odor of the city river? Sunday afternoon strolls in autumn … What if, paradoxically, the most personal, hidden dimension, of ambiance, were also the most shared out? Creating familiarity? The sense of smell is the key trigger for our contextual memory, as demonstrated by the recent breakthroughs in neurosciences. What an irresistible power of evocation in the hands of fragrance creators: the power of enchanting our world, our everyday life! Why not invite them to join in the creation of the ambiance and imagine the fragrant messages sent by environment? They can summon back pleasant memories, creating familiarity and pleasure (either by following an intuitive and shared approach or by validating their choices by tests and surveys which can be carried out today on a scientific basis). Creating surprise? Smells also play tricks on us, surprise us, transport us miles away . Right in the middle of the city, amidst the scorching air and the fumes of asphalt, ozone and fuel, suddenly the image of a mountain sawmill imposes itself on us: the fresh, sweet and humid smell of plaster escapes through a pine picket fence hiding a building site and exhaling its resinated puffs in the sun. And so we think: “Something’s happening here!” Why not play with smells as elements of surprise, of contrast, of discrepancy, as if they were tools in the box? They might suggest paths, spotlight areas, even create them, combining with sound and light, or with silence and obscurity… thereby contributing to the synergy of the senses. Diffusing fragrant messages Smells are elusive, uncontrollable. What if their volatility, their mobility were used as their finest qualities? Today, air flows can be mastered and scented, thanks to sophisticated high-tech diffusing systems. However, the fifth dimension of space could also be imagined as the emanation of its elements. Building materials (naturally fragrant or scent impregnated), water, planted vegetation (trees, aromatic plants)… may express designed fragrant messages. Number of allies may be chosen to propagate these messages in the ambiance: the wind can flap scented banners or screens, blow over fragrant fountains and artificial ponds, rush through wisteria covered pergolas and squares planted with limetrees… Water, steam (wonderful scent vector), smoke, heat… can also be used as precious allies. (These discontinuous modes of diffusion correspond to the functioning of our sense of smell, our brain deleting the odour of any space after a few seconds of immersion: it is useless to saturate our nose, better surprise it!) So why not invite nature, seasons, moods, aromachological virtues of plants, journeys into faraway lands… to enhance the ambience and contribute to create the emotions that may anchor its spirit in our memory? |
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EDITO N°34
12/07/2010
Michelle Duffy, Dean Merlino, Deb Manning
M. Duffy et D. Merlino sont enseignants en Communication et Sciences Sociales à l’Université Monash, Australie. D. Manning travaille au centre des partenariats culturels à l’Université de Melbourne, Australie
M. Duffy and D. Merlino: School of Humanities, Communications and Social Sciences, Monash University, Gippsland campus. D. Manning: Centre for Cultural Partnerships, University of Melbourne, Australia
Définir les lignes sonores de nouveaux développements urbainsAvec la croissance démographique rapide en Australie attendue d’ici 2050, les nouveaux corridors d’expansion débordant de ses grandes villes seront confrontés à une pression considérable en matière de logement, d’infrastructure et de services à la personne. Pourtant, ce n’est que tout récemment que l’on a commencé à étudier les questions relatives à la participation et aux liens sociaux, et les implications de ceux-ci en termes de santé et de bien-être collectifs. Nous présentons ici nos idées et méthodes utilisées dans un projet de recherche faisant intervenir des enfants d’une petite école primaire de la ville d’Officer, l’un des nombreux corridors d’expansion se développant en périphérie de Melbourne. Ces évolutions urbaines sont particulièrement significatives pour la jeunesse habitante de cette zone, où la seule population actuelle de jeunes devrait plus que doubler dans la prochaine décennie mais, comme il ressort de rapports de l'administration locale, il existe un besoin urgent d'amélioration des infrastructures et des initiatives à même de donner la parole aux jeunes et qui les aideront à se sentir « reliés à leur communauté par un sentiment d'appartenance et de bien-être » (Politique et stratégie pour la jeunesse, Conseil du comté de Cardinia, 2007). Dans un tel contexte, que signifie le changement pour les moins de 20 ans ? Bien qu'un certain nombre de stratégies importantes aient été adoptées, ce qui est le moins pris en compte est la portée de nos réactions émotionnelles par rapport au concept de « chez soi » et les divers modes par lesquels on éprouve un sentiment d'appartenance. Notre projet est destiné à inciter les jeunes à explorer le lien social et le sens du « chez soi » par des enregistrements de sons et d'espaces significatifs, qui seront ensuite intégrés dans une exposition sonore. Ce faisant, ils peuvent s'approprier ou se réapproprier leur paysage et (re)découvrir leur connexion à leur environnement physique, social et culturellement construit. L'accent mis sur le son est significatif car le son nous rappelle notre connectivité au monde dans lequel nous vivons sans nous dissocier en tant qu’êtres indépendants, autonomes. Le son nous ramène également à notre corporéité, par la manière dont il pénètre dans le corps et le traverse. C'est pourquoi notre approche fait également écho à l'appel de Longhurst et alii à utiliser notre corps comme « instrument de recherche » (2008 : 215), et nous avons recours à une démarche auto-ethnographique de « perception participante » comme moyen de réfléchir à l'interaction corporelle avec les lieux. En rassemblant ces divers éléments, les participants définiront leur lien social par le biais de lignes sonores, et retrouveront leur propre sentiment de chez-soi dans un environnement en rapide mutation. La raison d'être qui motive notre projet est de faciliter un sentiment d'intervention sur un paysage devenu synonyme d'instabilité et d'incertitude. En permettant aux participants d'enregistrer et de manipuler ces sons chargés de signification pour eux, ils peuvent remodeler le monde extérieur afin qu'il ne soit plus quelque chose d’imposé dans leur vie. Au contraire, cela devient un prolongement de leur expérience qu'ils peuvent façonner et définir. La « sensualité du prendre place » (Feld 2005), par conséquent, reconnecte psychologiquement les participants à un sentiment de « chez soi ». Ce « chez soi psychologique », comme le font observer Sigmon, Whitcomb et Snyder (2002), constitue la base de l'ouverture au lien social. Le social devenant plus familier et contrôlable, la possibilité de connexion se transforme en réalité. | Mapping out the soundlines of new urban developmentsWith the rapid population growth estimated to occur in Australia generally by 2050, the new growth corridors spilling out of its capital cities will face considerable pressure in housing, infrastructure, and human services. Yet, only more recently considered are issues around social participation and connection, and the implications these have in terms of community health and well being. Here we present our ideas and methods used in a research project involving young people from a small primary school in the town of Officer, one of a number of new growth corridors developing along the outskirts of Melbourne. These urban changes are particularly significant for the youth of this area, where the current population of young people alone is expected to more than double in the next decade, but, as local government reports suggest, there is an urgent need for improved infrastructure and initiatives that will recognise and assist young people in feeling “connected to their community through a sense of belonging and wellbeing” (Cardinia Shire Council’s Youth Policy and Strategy, 2007). In such a context, what does change mean for those under the age of 20? Although a number of important strategies have been adopted, what is less recognised is the significance of our emotional responses to ‘home’ and the various modes through which one feels a sense of belonging. Our project is designed to engage young people to explore social connection and the meaning of ‘home’ through recordings of significant sounds and significant spaces, which will later be incorporated into a sound exhibition. In so doing they can re/connect with their landscape and re/discover their connection to their physical, social and culturally constructed surrounds. The focus on sound is significant because sound reminds us of our connectivity to the world we inhabit in which we are not separate, autonomous beings. Sound also brings us back to our corporeality, how sound penetrates in and through the body. Hence our approach also responds to Longhurst et al’s call to use our bodies as “instruments of research” (2008: 215), and we draw on an auto-ethnographical approach of ‘participant sensing’ as a means to think about bodily interaction with places. Bringing together these different elements, participants will map out their social connection through soundlines, and recapture their own sense of home in a rapidly changing environment. The rationale underpinning our project is one that facilitates a sense of agency over a landscape that has come to stand for instability and uncertainty. By enabling the participants to record and manipulate those sounds that are meaningful to them, they can rework the external world so that it is no longer something forced upon their lives. Instead, this becomes an extension of their experiences which they can shape and define. The ‘sensuality of emplacement’ (Feld 2005), therefore, reconnects the participants psychologically with a sense of ‘home’. This ‘psychological home’, as Sigmon, Whitcomb and Snyder (2002) suggest, forms the basis of the opening up to social connection. As the social becomes more familiar and controllable, the possibility of connection becomes a reality. |
References: Feld, S. (2005) "Places Sensed, Senses Placed: Towards a Sensuous Epistemology of Environments", in David Howes (ed) Empire of the Senses: The Sensual Culture Reader, Oxford, Berg, pp. 179-191 Sigmon, S., Whitcomb, S., Snyder, C. (2002) "Psychological Home", in Fisher, A., Sonn, C., Bishop., B, Psychological Sense of Community: Research, Applications, and Implications, New York, Kluwer Academic/Plenum Publishers, pp. 25-41 |
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EDITO N°33
16/06/2010
Laura De Caro
Licenciée en Communications et Mass Media de l’Université de Turin, Italie. Poursuit une recherche sur les pratiques narratives dans l’espace muséal, Université de Leicester, UK
MA in Mass Media & Communications, University of Turin. Current research on narrative practices in museum space, University of Leicester, UK
Explorations sur la qualité sonore des espaces de vieAu tournant du 21e siècle et au regard de l’étude des environnements vécus, nous sommes graduellement témoins d’une attention renforcée au sujet de la qualité sonore des espaces de vie et d’une prolifération, au travers de disciplines, par les publications sur l’histoire, la sociologie et l’anthropologie des sons (voir bibliographie). En temps qu’étudiante en communication, je me suis interrogée sur les origines de ce changement d’attitude par rapport aux sons, ses liens avec le développement des technologies des médias et de la musique ainsi que le potentiel des études actuelles sur les sons, en temps que champ de recherche interdisciplinaire, donnant une lecture plus compréhensive de notre expérience perceptive et une nouvelle voix dans notre compréhension de l’histoire. Fondamental dans ce changement d’attitude, se trouve être le travail du compositeur canadien R. Murray Schafer, qui, dès le début des années 70, a présenté le concept de paysage sonore comme terme inclusif et flexible indiquant tous les sons perçus qui nous environnent en un temps et un lieu. La reconnaissance de cette sphère perceptive comme une entité identifiable, dans laquelle chacun de nous contribue plus ou moins consciemment, ne supporte pas seulement les débats écologiques des années 70, mais plus largement porte l’intuition de Schafer et de son contemporain John Cage au-delà de la sphère musicale vers des recherches culturelles et sociologiques. Schafer a commencé à poser de nouvelles questions: Quels sont tous les sons que j’entends ? Comment ces sons changent avec le temps, l’espace et les cultures ? En quoi sont-ils signifiants dans les processus culturels qui donnent sens et identité ? Comment pouvons-nous produire des sons plus significatifs dans le design sonore ? Pour répondre à ces questions, Schafer et ses collègues du ![]() Aujourd’hui, de nombreuses initiatives dans le champ de la recherche sonore sont directement inspirés des travaux du WSP (comme le ![]() ![]() Néanmoins, dans l’investigation d’outils de recherche plus efficaces, une nouvelle question est apparue : le rôle du web peut-t-il aujourd’hui renforcer notre relation avec notre environnement vivant plutôt que de nous en éloigner ? Les cartes sonores du monde mises sur la Web tel le ![]() ![]() | Explorations on the sonic quality of lived spacesWith the turn of the 21st century, we are increasingly witnessing, with regards to the study of lived environments, a consolidation of attention for the sonic quality of lived spaces and a proliferation across disciplines of publications on the history, sociology and anthropology of sound (see bibliography). As a student in Communications I questioned the origins of this change of attitude toward sound, its connections with the development of media and music technology and the potential of today’s sound studies, as an interdisciplinary field of research, to provide a more comprehensive reading of our perceptive experience and a new voice in our understanding of history. Fundamental in this turn of events was the work of the Canadian composer R.Murray Schafer, who as early as the 1970s presented the concept of ‘soundscape’ as an inclusive and flexible term to indicate all the sounds of the environment as perceived in a given space and time. The recognition of this perceptive sphere as an identifiable entity, to which each of us contributes more or less responsibly, did not only support the ecological debates of the Seventies, but more extensively brought the intuition of Schafer and his contemporary John Cage outside the field of music and towards that of cultural and sociological enquiry. Schafer started asking new questions: What are all these sounds that I hear? How do these sounds change in time, space and cultures? How are they significant in cultural processes of meaning and identity making? How can we make these sounds more telling through actions of acoustic design? To answer these questions, Schafer and his colleagues of the ![]() Today many initiatives in sonic field research are directly inspired by the work of WSP (such as ![]() ![]() Yet as we look to find more effective tools of research, a new question begins to emerge: can the Web have a role today in reinforcing rather than discouraging our relation with the lived environment? Web-based sonic maps of the world such as ![]() ![]() |
References: AA.VV., La grana dell’audio. La dimensione sonora della televisione (Roma: Rai-ERI, 2002) Augoyard, J.F., Torgue, A., À l’écoute de l’environnement. Répertoire des effets sonores (Marseille: Editions Parenthèses, 1995) Basso, K.H., Feld, S. (ed.by) Senses of Place (Santa Fe : School of American research Press, 1996) Blesser, B., Salter, L.-R., (ed .by) Spaces speak, are you listening? Experiencing aural architecture (Cambridge, Massachusetts : MIT Press, 2007) Cage, J., Silence: lectures and writings (London: Calder and Boyars, 1968) Colimberti, A., (ed. by) Ecologia della Musica. Saggi sul paesaggio sonoro (Roma : Donzelli, 2004) Crunelle, M., Le Son des Villes: 100 descriptions sélectionnés par Marc Crunelle (Bruxelles : Presses Universitaires de Bruxelles, 2006) De Caro, L. “I Soundscape Studies secondo R.Murray Schafer . L’emergere di un nuovo campo di ricerca”, MA Thesis on the History of Media, University of Turin, Italy Hirshkind, C., The Ethical Soundscape. Cassette sermons and Islamic counterpublics (New York: Columbia University Press, 2006) Järviluoma-Mäkelä, H., Wagstaff, G., (ed. by) Soundscape Studies and Methods (Turku: Finnish Society for Ethnomusicology, 2002) Mayr, A., Musica e suoni dell’ambiente (Bologna : CLUEB, 2001) Picker, J., Victorian soundscapes (New York : Oxford University Press, 2003) Rath, R.C., How early America sounded (New York : Cornell University Press, 2003) Schafer, R.M., The Soundscape. Our Sonic Environment and the Tuning of the World (Rochester, Vermont : Destiny Books, 1994) Schafer, R.M. (ed. by) The Vancouver Soundscape (Vancouver: A.R.C.Publications, 1978) Schafer, R.M. (ed. by) Five Village Soundscapes (Vancouver: A.R.C.Publications, 1977) Smith, B., The Acoustic World of Early Modern England. Attending to the O-factor (Chicago : The University of Chicago Press,1999) Smith, M.M., Listening to Nineteenth-Century America (Chapel Hill : The University of North Carolina Press, 2001) Sterne, J., The Audible Past. Cultural origins of sound reproduction (Durham & London : Duke University Press, 2003) Thompson, E., The Soundscape of Modernity. Architectural Acoustics and the Culture of Listening in America, 1900-1933 (Cambridge, Massachusetts : MIT Press, 2004) Truax, B., Acoustic Communication 2nd edition (Westport, USA : Ablex Publishing, 2001) |
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EDITO N°32
01/06/2010
Céline Drozd
Architecte, doctorante au CERMA UMR CNRS/MCC 1563, ENSA Nantes, France. Thèse dirigée par G. Hégron, encadrée par P. Amphoux, V. Meunier et N. Simonnot
Architect, PhD Candidate at CERMA research group (UMR CNRS/MCC 1563), France. PhD supervised by G. Hégron, P. Amphoux, V. Meunier, and N. Simonnot
Les ambiances dans le processus de conception architecturale : l’exemple de l’agence Behnisch ArchitektenDans la cadre de notre thèse de doctorat, nous étudions les représentations iconographiques et langagières d’ambiances produites par des architectes contemporains lors du processus de conception architecturale. Une des approches des ambiances possibles parmi d’autres est celle de l’agence d’architecture allemande Behnisch Architekten développée plus particulièrement pour la conception des ambiances des Thermes de Bad Aibling (Bad Aibling, Allemagne, septembre 2007).Les espaces projetés par les architectes allemands sont à la fois conçus dans un souci de qualité de vie et de qualité environnementale ce qui fait dire à Marie-Hélène Contal & Jana Revedin que Behnisch Architekten travaille sur « l’ergonomie de l’immatériel ». Les architectes intègrent en effet dans leur projet à la fois la dimension sensible et la dimension physique des ambiances. A Bad Aibling, les architectes ont proposé des « cabinets de bains » sous formes de coupoles caractérisées par des ambiances différentes en jouant sur les lumières, les couleurs, les odeurs, les sons, les températures, les matières. Ils prennent en compte les différents sens pour proposer des expériences variées. Au moment de l’esquisse, leurs intentions sont surtout traduites à l’aide de photographies (références historiques de thermes, matériaux) et de schémas simplifiés en coupes dans lesquels on voit apparaître les premiers dispositifs de contrôle des ambiances (formes des ouvertures, recherche d’intégration des éléments de traitement acoustique).Par ailleurs, dès la phase d’esquisse, l’agence Behnisch propose une approche climatique des ambiances qui se traduit par la production de représentations sous forme de schémas de fonctionnement climatique et de simulations numériques des paramètres physiques d’ambiances grâce à la collaboration avec un bureau d’étude climatique, Transsolar. L’objectif est d’évaluer les consommations énergétiques du bâtiment ainsi que les zones d’inconfort en fonction de la température, du taux d’humidité et des mouvements de l’air. Ainsi, les coupoles constituent un élément architectural majeur qui caractérise visuellement le bâtiment et permet de créer des ambiances distinctes mais elles jouent également un rôle dans la stratégie de réduction des consommations d’énergie. Nous soulignons l’intérêt de cette démarche qui permet, par la complémentarité des approches, d’anticiper la perception des ambiances projetées dans l’édifice construit. Cela suppose néanmoins que l’ensemble des acteurs du processus de conception manifeste un intérêt pour les compétences de ses collaborateurs et s’efforce d’en comprendre les représentations. La conception intégrée nous paraît particulièrement fructueuse dans la formulation des intentions et la conception des ambiances projetées. Comme nous venons de le faire très succinctement pour les Thermes de Bad Aibling, ce travail s’attache à identifier puis à caractériser les représentations d’ambiances produites par des architectes contemporains durant les différentes étapes du processus de conception, permettant ainsi à l’ambiance initialement formulée de perdurer tout au long du processus de conception et ceci, jusque dans les espaces vécus. Pour plus de détails sur ce bâtiment et sa conception : ![]() ![]() Contal Marie-Hélène & Revedin Jana. Sustainable design, towards a new ethic in architecture and town planning. Basel : Birkaüser, 2009, 179 p. Jaeger Falk. Behnisch Architekten. Berlin : Jovis Verlag, “Portfolio”, 2009, 144 p. | The atmosphere during the design process: the case of Behnisch ArchitektenOur PhD subject deals with the representations of architectural atmosphere through the texts, discourses and images produced by contemporary architects during all the stages of the designing process. We present here one of the possible approaches of atmosphere: there is the one developed by the architectural German practice “Behnisch Architekten” for the thermal baths of Bad Aibling in particular (Bad Aibling, Germany, September 2007). The spaces projected by the German architects are conceived to respond to both quality of life and the environmental quality. That is the reason why Marie-Hélène Contal & Jana Revedin say that Behnisch Architekten works on “the ergonomics of the immaterial world” . Indeed, these architects incorporate in their projects both sensible aspect and physical aspect of atmospheres. In Bad Aibling, the architects proposed “bath cabinets” in the shape of domes. They characterized each dome by different atmospheres, switching light, color, smell, sound, temperature and materials. Differentiated atmospheres are created in order to enhance the desired bathing experience. At the drafting stage, their intentions are represented by photographs (of historical thermal baths, of materials) and by quick schemes in section which show us the first systems to control the atmospheres in the building (shapes of openings, searches for integrate the acoustics system). From the drafting stage, Behnisch Architekten proposed a climatic approach of atmosphere. The architects produced schemes to conceive the principle of climate zoning and they produced numerical simulation of the atmosphere’s physical phenomena. They collaborate therefore with a climate engineering firm, Transsolar. The aim is both to evaluate energy consumption and to provide adequate thermal comfort conditions in all the different areas according to the temperature, the humidity level and the spatial velocity distribution. The domes characterize the building with their spherical shapes. They create also several atmospheres and reduce the energy consumption. They are both architectural and climatic elements. These architects, the climatic engineering firm and the future users work closely together. The synergy of these approaches permits to conceive the atmosphere in order to anticipate the perception of the users in the building. It supposes that all the actors of the designing process take an interest in sharing skills and strive to understand the representations produced by each other. This way of designing atmosphere seems to us successful so that the projected atmosphere is experienced in the building. As we have just done in this paper for the case of the thermal bathes of Bad Aibling, the aim of our PhD subject is to identify and qualify the atmosphere representations produced by contemporary architects during the different stages of the design process. The aim of these architects is to provide the conditions in which the projected atmosphere can be experienced by the users in the building. For more details: ![]() ![]() ![]() Contal Marie-Hélène & Revedin Jana. Sustainable design, towards a new ethic in architecture and town planning. Basel : Birkaüser, 2009, 179 p. Jaeger Falk. Behnisch Architekten. Berlin : Jovis Verlag, “Portfolio”, 2009, 144 p. |
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Territoires acoustiques : Culture du son et vie de tous les joursCe qui m'intéresse, c'est de prendre au sérieux la verve stimulante et enrichissante de la matérialité acoustique et les diverses expériences de phénomènes auditifs. Pour ce faire, j'espère suivre le son alors qu'il transmet des échanges chargés de signification pour le corps singulier, et au delà, la manière dont il inscrit ce corps dans un maillage social plus large. De mon point de vue, le son opère en tant que communauté émergente, tissant un lien entre des corps qui ne se recherchent pas nécessairement et les obligeant à se rapprocher. À leur tour, ces mouvements viennent construire une spatialité qui est à la fois cohérente et divergente : la spatialité acoustique est une leçon de négociation, car elle sépare autant qu'elle répare ; elle disloque les frontières entre un intérieur et un extérieur, entraînant dans son élan le privé et le public pour recréer en définitive les notions de différence et d'analogie. Tous ces mouvements et comportements soniques doivent être considérés comme indicateurs d'une structure paradigmatique particulière et unique : le son est ainsi une matrice épistémique générant des coordonnées spatiales spécifiques, une mixité sociale et des perceptions corporelles. En suivant les détails de cette structure paradigmatique, quel type de langage est susceptible d'émerger peu à peu, comme moyen de décrire ou de penser à travers le lieu où nous sommes aux prises avec les événements acoustiques ? Territoires acoustiques : Culture du son et vie de tous les jours (Continuum Books) est une nouvelle publication dans laquelle j'ai exploré les caractéristiques de ce paradigme auditif. Je me suis surtout intéressé à la manière dont le son circule à travers l'environnement construit, dont il conditionne les espaces architecturaux et forme la base de projets sociaux et culturels. Chaque chapitre entreprend de sonder des topographies ou des sites particuliers, tels que les espaces souterrains, la rue ou le foyer, examinant la manière dont le son se prête aux expériences de lieu. L'exploration se poursuit en considérant le lieu en fonction de figures ou de comportements soniques particuliers. La compréhension de l'écho, de la vibration, de la rétroaction, du silence, du bruit et de la transmission est utilisée pour étudier et mettre en relief des histoires auditives particulières et pour définir des géographies soniques de la vie de tous les jours. Il est important de noter que ma préoccupation a été de faire intervenir la politique de la culture du son : comment le son opère-t-il au sein de formes de résistance, et comment des actes d'écoute sont-ils susceptibles d'influencer la compréhension de la communauté, de la différence et de la cité du futur ? | Acoustic Territories: Sound Culture and Everyday LifeI’m interested to take seriously the challenging and enriching verve of sonic materiality and the diverse experiences of auditory phenomena. To do so, I hope to follow sound as it comes to impart meaningful exchanges against the singular body, and further, how it locates such a body within a greater social weave. From my perspective, sound operates as an emergent community, stitching together bodies that do not necessarily search for each other, and forcing them into proximity. Such movements in turn come to build out a spatiality that is both coherent and divergent – acoustic spatiality is a lesson in negotiation, for it splits apart while also mending; it disrupts the lines between an inside and outside, pulling into its thrust the private and the public to ultimately remake notions of difference and commonality. All these sonic movements and behaviours must be taken as indicating a particular and unique paradigmatic structure: sound is thus an epistemic matrix generating specific spatial coordinates, social mixes, and bodily perceptions. Following the details of this paradigmatic structure, what kind of language might begin to surface, as means to describe or to think through where we are in the throes of sonic events? Acoustic Territories: Sound Culture and Everyday Life (Continuum Books) is a new publication in which I have explored the features of this auditory paradigm. My focus is on how sound comes to circulate through the built environment, to condition architectural spaces, and to form the base for social and cultural projects. Each chapter sets out to query particular sites or topographies, such as underground spaces, the street or the home, investigating how sound lends to experiences of place. This is further explored by considering place according to particular sonic figures or behaviour. Understandings of echo, vibration, feedback, silence, noise and transmission are used to investigate and unfold particular auditory histories and to detail sonic geographies of everyday life. Importantly, it has been my interest to engage the politics of sound culture: how does sound participate within forms of resistance, and how might acts of listening influence understandings of community, difference, and the future city? |
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Errance solitaire avec un nuage : le Web 2.0 et l’expérience des lieux urbainsÀ la fin du XIXème siècle, les constructions représentaient la technologie identificatrice de l’époque (Bolter 1986). Des foules se rassemblaient pour marquer l’ouverture du « Crystal Palace » (Palais de cristal) à Londres en 1851. À la fin des années 1990, toutefois, le lancement d’un nouveau système d’exploitation reflétait davantage l’air du temps qu’une nouvelle construction. Désormais, le Web 2.0 a tout révolutionné. Il balaie les obstacles physiques et culturels, donnant lieu à de nouvelles pratiques sociales qui mettent à rude épreuve notre sens de la communauté et du lieu. En partageant des photographies, vidéos, cartes, notations et analyses, nous vivons par procuration l’expérience d’être quelque part à travers les autres que nous ne rencontrerons probablement jamais. Jusqu’à présent, la plupart de ce qui est partagé encourage la consommation : où peut-on trouver la meilleure adresse pour acheter X ici ? Nous investissons notre confiance dans ces autres invisibles en partie définis par leur aptitude à accéder au Web. La téléphonie mobile et les services géodépendants étendent la portée du Web 2.0 aux coins et recoins, parcs et allées, collines et vallons. Ils placent l’espace physique au cœur du Web 2.0. Des questions que nous n’avions jamais songé poser auparavant — car les réponses semblaient alors évidentes —deviennent désormais pertinentes. Où suis-je ? Qui est avec moi ? Où devrais-je aller ensuite ? L’éventail des réponses possibles est large et certaines réponses n’identifient plus l’espace physique. Des visions de villes câblées sont à la recherche d’un futur au sein duquel « l’interaction humaine avec et par les ordinateurs deviendrait socialement intégrée et spatialement dépendante, les objets et espaces du quotidien étant liés par l’informatique en réseau » (Greenfield et Shepard 2007). Voir les gens arpenter les places absorbés dans des conversations sur un téléphone mobile, semble indiquer une issue différente. Ils ne sont pas là ; ils sont ailleurs. Ils ont la tête dans de nouveaux nuages : des nuages de données sur des serveurs qui sont ailleurs. Notre ingéniosité nous apporte une sophistication toujours plus grande en informatique mobile mais nous isole du monde qui est devant notre nez. L’attention humaine est une ressource limitée, si ingénieux que soient nos dispositifs (Shirky 2008). Cette limite à l’attention laisse entrevoir le besoin d’une phénoménologie qui va au-delà de l’individu pour englober l’expérience intersubjective de l’espace urbain avec toute la complexité introduite par l’informatique mobile et le Web 2.0. Comment pouvons-nous être dans différents espaces et passer sans cesse de l’un à l’autre en une fraction de seconde ? Qu’est-ce que cela signifie pour la conception de l’espace urbain du futur ? S’il est possible de tirer parti du Web 2.0 pour développer notre conscience et notre expérience de l’ambiance urbaine — par exemple à travers l’organisation de « performances » (spectacles) et de flash-mobs — ce potentiel reste à exploiter. Malheureusement, les premiers signes ne sont pas bons ; les premières applications de réalité augmentée à apparaître sur les téléphones mobiles sont celles qui identifient des appartements à 600 000 euros à Amsterdam ou localisent les meilleurs restaurants accessibles à pied (Thackara 2010). Est-ce le mieux que nous puissions faire avec le Web 2.0 mobile ? À moins de trouver le moyen de relier le virtuel au réel, nous courons le risque de vivre de plus en plus ailleurs plutôt qu’ici, avec des gens que nous ne connaîtrons peut-être jamais, tandis que ceux autour de nous deviendront invisibles (voir Figure 1). | Wandering lonely with a cloud: Web 2.0 and the experience of urban placesAt the end of the 19th century, buildings represented the defining technology of the age (Bolter 1986). Crowds gathered to mark the opening of the Crystal Palace in London in 1851. By the end of the 1990s, however, the launch of a new operating system captured the spirit of the times more than a new building. Now, Web 2.0 has changed everything. Web 2.0 removes physical and cultural barriers, resulting in new social practices, which stretch our sense of community and place. By sharing photographs, videos, maps, ratings and reviews, we enable vicarious experience of being somewhere through others we will probably never meet. So far, most of what is shared encourages consumption—where is the best place to buy X here? We invest our trust in invisible others who are defined in part by their ability to access the Web. Mobile telephony and location based services extend the reach of Web 2.0 to nooks and crannies, parks and alleys, hills and valleys. They push the focus of Web 2.0 towards physical space. Questions we never thought to ask before—because the answers seemed obvious before—are pertinent now. Where am I? Who is with me? Where should I go next? The range of possible answers is wide and some responses no longer identify physical space. Visions of wired cities seek a future in which “human interaction with and through computers becomes socially integrated and spatially contingent, as everyday objects and spaces are linked through networked computing” (Greenfield and Shepard 2007). Seeing people pacing the plazas engrossed in conversations on a mobile phone, suggests a different outcome. They are not there; they are somewhere else. Their heads are in new clouds—clouds of data on servers somewhere else. Our ingenuity brings us ever greater sophistication in mobile computing but isolates us from the world in front of our noses. Human attention is a finite resource, no matter how clever our devices are (Shirky 2008). This limit to attention suggests the need for a phenomenology that reaches beyond the individual to embrace intersubjective experience of urban space with all the complexity mobile computing and Web 2.0 introduce. How we can be in different spaces and flit from one to another (and back again) in a split second? What does this mean for the design of future urban space? While there is scope to harness Web 2.0 to expand our awareness and experience of urban ambiance—for example through the organisation of performances and flash-mobs—that potential has yet to be tapped. Unfortunately, the early signs are not good; the first augmented reality “apps” to appear on mobile phones are those that identify apartments for 600,000 euros in Amsterdam or locate the best restaurants within walking distance (Thackara 2010). Is this the best we can do with mobile Web 2.0? Unless we can work out how to connect the virtual and real we run the risk of increasingly living somewhere other than here, with people we may never know, while those around us become invisible (see Figure 1). |
Bolter, J. D. (1986). Turing’s Man. London, Pelican. Greenfield, A. and Shepard, M. (2007). Urban Computing and Its Discontents. Architecture and Situated Technologies Pamphlet 1. The Architectural League of New York. Available from ![]() Shirky, C. (2008). Here Comes Everybody: The Power of Organizing Without Organizations. London, Allen Lane. Thackara, J. (2010). Barf-ware. Available at ![]() |
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EDITO N°29
22/03/2010
Steven Melemis
Architecte, enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Malaquais, chercheur au laboratoire Cresson, France
Architect, lecturer at l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Malaquais, Cresson Laboratory, France
Nicolas Tixier
Architecte, enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, chercheur au laboratoire Cresson, France
Architect, lecturer at l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, Cresson Laboratory, France
Réalisation : Zoom (Naïm Aït Sidhoum, Pierre Bouchon Cesaro, Thibaut Candela) + Laure Brayer + Damien Masson.
Dans le cadre d'une recherche PIR Ville et Environnement. "L’ambiance est dans l’air - La dimension atmosphérique des ambiances
architecturales et urbaines dans les approches environnementales". Sous la direction de Nicolas Tixier (2008-2010)
Transects UrbainsLe terme transect1 désigne pour les géographes un dispositif d’observation de terrain ou la représentation d’un espace, le long d’un tracé linéaire et selon la dimension verticale, destiné à mettre en évidence une superposition, une succession spatiale ou des relations entre phénomènes. Pour nous, le transect urbain se présente comme un dispositif se situant entre la coupe technique et le parcours sensible empruntant leurs techniques pour les hybrider ; il s’effectue par le dessin, la vidéo autant qu’in situ. Mais, tout au contraire de l’attitude du flâneur, celui qui opère un transect sait qu’il devra effectuer des intrusions, des franchissements. C’est une « coupe » qui, loin d’être clinique, engage le corps même de l’observateur dans une traversée, pour justement… aller voir. Le transect urbain n’implique pas de dominante disciplinaire ni d’exhaustivité des données pour un lieu ; bien au contraire, il sélectionne tout ce qui se trouve sur son fil et autorise, précisément, les rencontres entre les dimensions architecturales, sensibles et sociales, entre ce qui relève du privé et ce qui relève du public, entre le mobile et le construit, etc. Et, si on prend un peu du recul, il peut permettre la lecture des strates historiques autant que des répartitions programmatiques. Cette dimension verticale et cheminatoire permet d’échapper aux logiques de zoning et d’articuler de nombreuses couches programmatiques déjà fortement présentent dans toutes villes. Réhabilitant la dimension atmosphérique dans les représentations architecturales, rendant possible l’inscription des récits, le transect peut devenir alors un mode d’expression de l’espace sensible et des pratiques vécues prometteur pour l’analyse autant que pour la conception. Nous faisons l’hypothèse que le transect est un mode de représentation et d’expression qui peut devenir un lieu de débat et de rencontre entre les acteurs de l’urbain (habitants, usagers, techniciens, élus et concepteurs) et entre les disciplines de l’urbain (techniques, sociales et design) afin de permettre le croisement des enjeux environnementaux et des enjeux d’ambiances situés. Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, nous testons et déployons dans de nombreux contextes (Paris, Grenoble, Nantes, Geneva, São Paulo, Bogotá) toute une panoplie de transects selon trois registres d’action :
| Urban TransectsFor the geographer, the term "transect"1 signifies an approach encompassing both the observation of a terrain and, at the same time, a corresponding form of graphic representation. Cutting across the space in question and presenting its vertical dispositions, the transect reveals successions of superimposed or contiguous components and the relations they entertain amongst themselves. We have chosen to approach the transect in an intermediate position between the « technical » section and as a sense-invoking trajectory, attempting a form of hybridization of the two based on initial descriptions documented in the form of drawings, filmed sequences etc. that reflect situated experience of the space traversed. Unlike the attitude of the flâneur, the traversing of the line of the transect implies intruding, leaping over or going under, etc. It is indeed a « cut » whose investigation actively engages the body of the observer who is there to look. In our view, the urban transect does not necessarily a particular, « dominant » discipline and, at the same time, need not attempt to be exhaustive in its attitude to the territory crossed. On the contrary; it can be constructed from a selection of elements encountered along its length and, in so doing, be deployed as a means of presenting interactions between architectural, sensory and social dimensions, between private and public domains, between the mobile and the immobile etc. With a bit of intellectual distance, it can allow for a reading of historical layers or programmatic dispositions. The simultaneous representation of horizontal layers vertically cut through, combined with the evocation of a corporal trajectory precludes the possibility of a reasoning based on « zones » while allowing for an articulation of existing rapports between different programmatic layers that are present in all urban contexts. In reintroducing the atmospheric dimension into architectural representation in the form of “situation-specific” graphic approaches facilitating trans-disciplinary communication, in allowing for the possibility of situating spatial narratives, the transect might become a viable means of representing the sensory qualities of space and of lived practices in ways that enrich the designer’s analytical capacities. Our hypothesis is that the transect can be deployed as a mode of representation and expression capable of focusing debate among a diversity of stakeholders (inhabitants, technicians, politicians, designers etc.) and between technical, social science and design disciplines studying the urban territory. We are primarily concerned with the capacity of the transect to focus discussion on specific environment- and atmosphere- related issues. The main hypothesis has been subject to applications in a number of contexts (Paris, Grenoble, Nantes, Geneva, São Paulo, Bogotá), each time in relation to different local issues :
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1. Ce texte reprend l’abstract soumis et accepté pour une communication à l’International Conference of Architectural Research – ARCC-EAAE – Washington DC – Juin 2010. | 1. This text resumes the abstract submitted and accepted for Communication at the International Conference of Architectural Research – ARCC-EAAE – Washington DC – June 2010. | |||
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Ecouter les fragments sonores
Listen to the sound fragments
"Haute fidélité"Assister à un match de championnat brésilien à l’Estádio Palestra Itália1 (Palmeiras, Saõ Paulo) donne une occasion unique à l’urbaniste sensible, accessoirement amateur de ballon rond stéphanois, de vérifier si les ambiances des stades français avec leurs fans et ultras sont fidèles à leur lointain modèle d’origine : les torcidas organizadas du Brésil. A St-Etienne comme à Palmeiras, les stades sont anciens et plus ou moins décatis. Construits dans les années 30 et rafistolés depuis au gré des moyens ils sentent encore le football. Les tribunes populaires y sont suffisamment proches du terrain pour y sentir l’herbe mouillée… Privilège commun que les « 4 août » des instances internationales n’ont pas encore pu abolir, on peut encore y regarder le match debout dans les gradins ou arquibancadas. Alors que les nouvelles enceintes sportives prennent parfois la clef des champs, ce sont des stades dans et avec vue sur la ville. A Saõ Paulo, d’inspiration grecque avec sa forme en U, l’Estádio Palestra Itália met la ville en scène : on y voit les palmiers symboles du club et en arrière-plan les gratte-ciels et favelas de la mégalopole. Geoffroy-Guichard, stade à l’anglaise avec quatre tribunes qui se regardent, offre quant à lui des cadrages plus serrés sur les usines, les barres et tours des collines alentours. Dans les deux cas, un même couplage de verticalité et d’horizontalité. Dans les deux stades, des groupes de fans hétérogènes sont les principaux facteurs d’ambiance. Ils sont massés dans les tribunes populaires et s’associent en torcidas organizadas ou sections ultras. De réputation nationale, leurs chants y sont puissants et polyphoniques, leurs mélopées lancinantes (tambours, grosses caisses, choeurs) ou plus rythmées selon les moments et les buts des équipes adverses ne les arrêtent guère. Les références musicales sont rarement communes même si les rythmes sud-américains se retrouvent dans les deux stades (sambas2, macarena, Manu Chao, etc.). Il y a par contre divergence sur l’emplacement réservé aux visiteurs. Alors qu’à St-Etienne le parcage se situe en tribune latérale, à proximité visuelle du principal kop, les visiteurs du Palestra Itália sont placés tout au bout du fer à cheval, loin des yeux et du cœur des torcidas paulistes. Tribune assises, bâches plastiques et affichages publicitaires empêchent tout espoir de croiser le regard ou le fer entre supporters. | "High Fidelity"Being part of a Brazilian football game at Estádio Palestra Itália1 (Palmeiras, Saõ Paulo) is a unique way for a French urban designer, football fan at his spare time (AS St-Etienne), to verify if French stadium’s atmosphere, with their “fans” and ultras, can match their distant models : torcidas organizadas from Brazil. In St-Etienne (stade Geoffroy-Guichard) as in Palmeiras, stadiums are getting old and more or less decrepit. Often patched up since their construction in the 1930s, the popular stands have rare privileges nowadays. You still can watch the game standing in the terraces (gradins or arquibancadas) and they are even close enough to the pitch to smell the wet grass. In contrast to the modern sports arenas often located on the outer fringes of cities, they are situated in their city and also afford a view on it. At Saõ Paulo, the Estádio Palestra Itália is horseshoe shaped in the Greek style of Olympic games. It stages the city landscape : in the foreground, palm trees symbolising the club and in the background the skyline made of favelas and skyscrapers. Geoffroy-Guichard, English-style stadium with four stands staring at each other, offers more tightened views on factories, bars and towers on the hills surroundings. In both cases, the same coupling of verticality and horizontality. In both stadiums, heterogeneous groups of fans are the main factors of atmosphere. They are massed in the popular stands and are gathered in torcidas organizadas or ultras sections. Their singing is powerful and polyphonic and carries a national reputation. The rhythm of their bands (drums, choirs, etc.) can be monotonous or hectic according to match scenario and they continue regardless of the opposing teams’ goals. The musical references are rarely common even if the South American rhythms are to be found in both stadiums (sambas2, macarena, Manu Chao, etc.). There is, on the other hand, difference on the place reserved for the visitors. While in St-Etienne the away stand is situated in the grand stand, physically closed and visually in contact with the home fans in the main kop, the visitors of the Palestra Itália are placed at the end of the horseshoe, far from eyes and from heart of paulistes’ torcidas. Plastic covers and advertisement prevent any hope to cross the glance or the iron between supporters. | |||
Emblèmes et drapeaux des supporteurs font des clins d’œil similaires aux mauvais garçons des comics de Bart Simpson en France à Satanas et Diabolo ou Mancha negra3 (Fantôme noir) au Brésil. Plus surprenant est le drapeau de la Savoie qui flotte dans les deux stades en raison des origines savoyardes de certains fans de l’ASSE et des origines italiennes du club de Palmeiras rappelées par le drapeau de la maison de Savoie4. A la simple vue de ce match, on peut avancer l’idée que les ambiances des grands stades français, non seulement montrent une « haute fidélité » à leur lointain modèle brésilien, mais qu’elles soutiennent de plus parfaitement la comparaison. Au-delà, les remarquables ambiances de ces stades à l’ancienne ne pourraient-elles pas enrichir aussi les modèles de conception des nouvelles enceintes ultra-modernes et sécurisées que promettent la France et le Brésil dans le cadre des futures compétitions internationales ? Les projets de stades actuels ne prennent presque jamais en compte la notion d’ambiance. Ils sont principalement intéressés par la dimension construite et partiellement à celles des usages de spectateurs considérés comme des clients. Il en résulte un double phénomène : d’amélioration de la qualité architecturale et d’appauvrissement progressif des qualités d’usages et sensibles. | Emblems and flags of the supporters make similar references to the bad boys of comics such as Bart Simpson, Satanas and Diabolo or Mancha negra3 (Phantom Blot). More surprising is the flag of Savoy, which flies in both stadiums because of the Savoyard origins of certain fans of the AS St-Etienne and the Italian background of the club of Palmeiras called back by the flag of the house of Savoy4. At the simple view of this match, we can advance the idea that the atmospheres of the big French stadiums, not only show a « high fidelity » in their Brazilian distant models, but that they even support perfectly the comparison. Furthermore could not these remarkable atmospheres enrich as well the models of conception of the new ultramodern and secure arenas promised by France and Brazil for their future international competitions ? Current stadiums projects almost never take into account the notion of atmosphere. They are mainly interested in the constructed dimension and in the exploitation of spectators as consumers. It results from it a double phenomenon : an improvement of the architectural quality but with the progressive impoverishment of the qualities of uses and emotions. | |||
1. Dit aussi Parque Antártica. 2. La Mancha verde, l’une des torcidas de Palmeiras, est aussi une école de samba. 3. Mancha negra est un ennemi de Mickey, plus actif au Brésil que notre Pat Hibulaire. 4. Le club a été fondé par des immigrés italiens et s’est appelé Palestra Itália jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. | 1. Also called Parque Antártica. 2. Mancha verde, one of Palmeiras torcidas, is also a school of samba. 3. Mancha negra is an enemy of Mickey, more active in Brazil than our Pat Hibulaire. 4. The club was established by Italian immigrants and is called Palestra Itália up to the Second World War. | |||
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Le végétal urbain, un régulateur d’ambiances ?« Le végétal est le grand oublié des débats sur la ville durable »1 ? Pas pour longtemps ! Il est au centre du projet VegDUD coordonné par l’IRSTV, dans lequel nous étudierons la végétation comme une des solutions possibles au développement durable des villes. Cette recherche explore les rôles climatiques, énergétiques et ambiantaux du végétal urbain. La première étape consistera en l’élaboration d’une typologie du végétal urbain réunissant une documentation pluridisciplinaire des dispositifs végétaux (toitures végétalisées, parkings poreux, chaussées filtrantes, lagunage urbain…) et de leurs caractéristiques. Celle-ci sera basée sur les pratiques du végétal urbain (communes ou nouvelles) pour lesquelles nous proposerons d’établir les composantes d’un bilan global (environnemental, social, économique). En parallèle, nous chercherons à quantifier les différents impacts sur l’environnement des dispositifs végétaux. Deux modes d’investigation seront particulièrement développés : la mesure in situ et la simulation à l’aide de modèles de climatologie, d’hydrologie, d’acoustique urbaine, de thermique des bâtiments. Les modèles devront être améliorés pour prendre en compte les effets de la végétation. Le volet expérimental nécessite la mise au point de techniques de mesure adaptées à la compréhension des phénomènes physiques induits par la présence du végétal (réseau de sondes, télédétection aéroportée…). Les résultats des campagnes expérimentales permettront à la fois de valider les modèles et d’acquérir une meilleure connaissance du site retenu (Nantes). Pour modéliser la végétation à l’échelle urbaine, la mise en place de méthodes permettant d’acquérir rapidement une connaissance suffisante de la distribution du végétal urbain à grande échelle est indispensable. Un SIG, en lien avec la typologie proposée intégrera les acquisitions faites expérimentalement (télédétection). A partir de cette information sur l’état actuel de la ville, seront extrapolés des scénarios réalistes d’évolution fonctions d’orientations politiques, qui feront l’objet des évaluations. Pour ces extrapolations, nous distinguerons les leviers sur le végétal privé (jardins, dispositifs architecturaux) et le végétal collectif (squares, parcs, …). Les dispositifs végétaux retenus feront l’objet des évaluations rétro et prospectives qui reposent principalement sur la réalisation de simulations comparatives à l’aide des modèles développés. Ils seront évalués individuellement, pour leurs effets à petite échelle puis des projections à grande échelle des dispositifs les plus intéressants seront analysées. Ces évaluations des impacts environnementaux seront intégrées dans une évaluation globale regroupant les contraintes économiques, les aspects sensibles et les usages du végétal. En effet, la réflexion pour le développement équitable d’un aménagement végétal dans un site urbain ne peut être isolée ni du contexte construit, environnemental dans lequel le citadin se trouvera, ni de l’expérience plurisensorielle des utilisateurs et des usagers. Les résultats permettront de compléter la typologie mise en place et qui constituera un outil opérationnel permettant d’orienter une politique climatique de la végétalisation urbaine et de répondre à une question d’actualité : Où et comment faut-il porter l’effort végétal en fonction des enjeux sociaux, ambiantaux, énergétiques, hydriques… posés par notre société ? | Does urban vegetation regulate ambiances?Vegetation isn’t considered in debates about sustainable city1? It won’t last long ! It’s at the heart of VegDUD project that IRSTV coordinates. In this project, we will study the vegetation as one of possible answers to sustainable development of cities. This research explores the roles of urban vegetation in the regulation of urban microclimate, energy consumption and atmosphere. We will first establish a typology of urban vegetation that will gather a multidisciplinary documentation of vegetable devices (green roofs, grass car parks, urban lagoons…) and their characteristics. This typo-genealogy will be based on the use (common or new) of urban vegetation for which we will propose to establish a global balance integrating environmental, social and economical impacts. In parallel, we will develop methods to quantify different impacts of vegetation on urban environment. Two investigative ways will be particularly developed: in situ measure and numerical simulation using physical models (buildings energy models, microclimate models, urban sound models, hydrology models). Models will have to be improved so that they take into account the vegetation effects. The experimental part implies the development of techniques adapted to the understanding of physical phenomena due to the presence of vegetation (probes, remote sensing). Experimental campaigns will allow validating the models developed in modeling tasks and having a better |