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Catherine Szántó, Paysagiste, membre du laboratoire "Architecture Milieu Paysage", ENSA Paris-La Villette, France

La promenade – l’une des multiples manières de marcher – est une attitude de marche particulière, où le marcheur / promeneur se rend disponible aux sollicitations des qualités spatiales polysensorielles des lieux qu’il traverse. Pour bien saisir l’enjeu d’une réflexion sur la promenade, le terme « sensoriel » n’est pas à prendre ici comme se référant aux cinq sens traditionnels, mais selon la définition des sens donnée par Berthoz, c’est-à-dire correspondant « à des fonctions perceptives (…), restitué[s] comme une direction qui accompagne le sujet vers un but »1. Une telle définition permet de comprendre la spatialité d’un espace comme l’ensemble des « offrandes » d’intentionnalité motrices potentielles proposées au promeneur2. L’espace fait morphologiquement sens pour nous selon les mouvements qu’il rend possibles3 ; il nous apparaît comme une constante invitation au mouvement, comme un partenaire dans un dialogue qui prend la forme d’une promenade. L’ambiance est alors ce qui, dans notre environnement, informe le dialogue spatial que nous engageons avec lui, en tant qu’êtres doués de mouvement. La promenade, mêlant perception et imagination, est un ‘acte de construction de sens’, requérant la ‘compétence de situation’ du promeneur.

La reconnaissance théorique du rôle du mouvement pour la perception semble récente. Pourtant, la sensibilité au mouvement est nécessairement présente dans tout art de faire, toute poïésis spatiale, et aussi dans toute description d’actes spatiaux, bien que souvent de manière indirecte, car non thématisée. On la retrouve ainsi là où bien des discours contemporains sur les jardins la chercheraient le moins – dans les textes écrits aux XVIIe et XVIIIe siècles sur ce que l’on appelle aujourd’hui le « jardin à la française », qu’il s’agisse de traités d’art des jardins ou de descriptions de promenades dans le jardin de Versailles.

Au travers de la lecture de ces textes, la promenade apparaît comme une composition spatio-temporelle mettant en jeu tous les sens – la vision, l’ouïe, l’odorat, mais également le sens du mouvement, le sens de l’orientation. Elle ne peut cependant se comprendre comme une simple succession d’impressions sensorielles, mais comme une série de mouvements motivés, orientés vers un but. Le jardin est perçu comme un ensemble d’« unités spatiales », clairement délimitées et structurées, comprises comme telles au travers continuités et des ruptures sensibles, et du jeu entrelacé des possibilités et des contraintes motrices que leurs formes physiques permettent, selon les régularités que le mouvement du promeneur fait émerger. La compréhension complexe de l’organisation du jardin au-delà de l’échelle de l’espace directement perçu se construit au cours de la promenade, au fur et à mesure d’expériences spatiales locales et des vues que permettent les axes, mettant en jeu la reconnaissance visuelle des espaces déjà vus ou visités, la mémoire corporelle du trajet parcouru, et les attentes, en partie culturellement constitués, du promeneur.

L’étude de Versailles comme site offert à la promenade, révèle la richesse et la variété des « stratégies  morphologiques » du jardin, c’est-à-dire des modalités d’émergence du sens morphologique des espaces que recèlent ses formes physiques. La polysémie spatiale du jardin, qui prend corps dans les choix moteurs et perceptuels que l’espace propose au promeneur, permet de penser le jardin comme « œuvre ouverte »4, et la promenade comme une activité interprétative pré-prédicative fondée sur l’intelligence de situation. C’est ainsi que l’on peut parler de la promenade comme d’une quête esthétique d’intelligibilité morphologique. Chaque promenade est une actualisation de sens, c’est-à-dire une construction d’intelligibilité spatiale, qui donne forme et achève le jardin comme œuvre d’art, toujours et chaque fois autrement.

Ce texte est un résumé de la thèse de doctorat de l’auteur, « Le promeneur dans le jardin : de la promenade considérée comme acte esthétique. Regard sur les jardins de Versailles », soutenue en décembre 2009 à l’ENSA Paris- La Villette / Paris VIII.

1. A. Berthoz, Le Sens du mouvement, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 287.
2. « Offrande » est le terme proposé par J-P. Thibaud pour la traduction du mot anglais « affordance » inventé par J.J. Gibson, The Ecological Approach to Visual Perception, Boston, Houghton Mifflin, 1979.
3. E. Straus, Du Sens des Sens, Grenoble, Editions Jérôme Millon, 1989 (1935).
4. U. Eco, L’oeuvre ouverte, Paris, Seuil, 1965.

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