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Xavier Dousson, Architecte, docteur en histoire de l'art, enseignant à l'ENSA Paris-Malaquais, France

Au cours de l’automne 1938, Jean Bossu (1912-1983) se rend à Ghardaïa, principale cité de la pentapole de la vallée du M’zab[1], au cœur de l’Algérie. Ce voyage est en partie motivé par Le Corbusier – son premier employeur de 1929 à 1933 – qui souhaite que son jeune collaborateur y réalise pour lui des relevés et croquis d’une architecture vernaculaire qu’il admire[2]. Si Bossu ne reste pas à Ghardaïa aussi longtemps que Le Corbusier l’aurait souhaité[3], il y reviendra à de nombreuses reprises, en particulier à partir de 1954, au moment où il exercera lui-même en Algérie.
Les quelques mots et croquis laissés par Bossu permettent de saisir ce qui frappe l’architecte et qui, en réalité, marque essentiellement l’étroite intrication de l’architecture avec l’ensemble des données locales, qu’elles soient sociales, climatiques, topographiques et constructives.

Ainsi, il observe et dessine ces architectures et aménagements de la vallée du M’zab avec leurs habitants, leurs animaux – particulièrement les dromadaires – et leurs végétaux, comprenant immédiatement l’équilibre qui les lie. Il s’attache à décrire les « microclimats que l’on trouve dans les maisons ». Il croque les nombreux dispositifs d’irrigation et d’adduction d’eau indispensables à la vie locale (puits, barrages, retenues, déviations, réseaux). Il détaille sur plusieurs dessins la manière étonnante qu’ont les commerçants d’occuper la place du marché de Ghardaïa, s’installant sur la diagonale du rectangle qu’elle forme plutôt que parallèlement à ses côtés. Ces dessins renseignent également sur la répartition précise des marchands et de leurs produits sur la place : dattes, chèvres, chameaux, fromage, bois de chauffage, bois de construction, fruits et légumes, tissus, etc. La simple évocation de ces marchandises rend presque palpables leurs odeurs et leurs couleurs. Accordée à la diversité de commerçants et de chalands représentés, elle donne une idée des ambiances qui devaient s’y déployer. Sur cette place, il repère la modeste aire des prières, aujourd’hui disparue, et dessine la manière si particulière dont les animaux sont attachés, en grappe, comme sur les photographies plus tardives de Manuelle Roche[4]. Un autre croquis montre une vue générale de Ghardaïa et révèle que l’architecture épouse la topographie du site – une colline – et la souligne en disposant à son sommet le minaret de la mosquée. Divers dessins de bâtiments montrent la simplicité de l’architecture et décrivent minutieusement les dispositifs banals de protection contre les agressions du soleil du désert : portiques et encorbellement générateurs d’ombres, murs presque pleins percés de minuscules ouvertures, etc. L’architecte ne s’attache finalement que très peu à ce qui fait l’ordinaire d’un croquis d’architecte pour privilégier une représentation plus fine de ce qui fait la complexité d’une situation spatiale.

Dans les années trente, la mécanisation n’a pas encore véritablement atteint la vallée et les déplacements se font encore essentiellement à pieds, à dos d’âne et en dromadaire. Cette vision archaïque de son architecture, qui combine et révèle dans une cohérence exceptionnelle les pratiques sociales, les modes de déplacements, les contraintes climatiques, les ressources naturelles et les données topographiques, est de plus d’une beauté plastique « puriste » époustouflante. Cette découverte devient pour Jean Bossu « extraordinaire », un moment essentiel de sa formation, un ferment de ses positions ultérieures d’architecte, une question pressante de représentation.

1. La vallée du M’zab a été classée au Patrimoine mondial, culturel et naturel de l’Humanité par l’UNESCO en 1982.
2. Voir les pages consacrées à la vallée du M’zab dans Le Corbusier, La ville radieuse, soleil, espace, verdure, Éditions Vincent, Fréal & Cie, Paris, 1933 (réédition, 1964), p. 230-233.
3. Entretien inédit de Jean Bossu, le jeudi 8 novembre 1979, partiellement reproduit dans Riccardo Rodinò, « 20 ans de continuité dans les ruptures, Jean Bossu en Algérie », Techniques & Architecture, n° 329, février-mars 1980, p. 70-73.
4. Manuelle Roche, Le M’zab, architecture Ibadite en Algérie, Arthaud, Paris, 1970. Manuelle Roche est photographe et la compagne d’André Ravéreau lorsque celui-ci se voit confier la protection de la vallée du M’zab, au milieu des années 1960. Voir, tout particulièrement : André Ravéreau, Le M’zab, une leçon d’architecture, Éditions Sindbad, 1981.

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