Localisation
Nantes, France
Ambiances en traduction – 2014/2017
Ce Groupement de Recherche International du CNRS (GDRI) a été créé à l’initiative du Réseau International Ambiances et propose d’explorer la problématique des ambiances en traduction. Le mot « traduction » doit être compris ici au sens large du terme, non réduit à une dénotation strictement linguistique, même si ce plan est bien évidemment présent et partie constitutive du projet. En mettant l’accent sur la traduction, il s’agit à la fois de reconnaître la pluralité des versions et modes d’accès aux ambiances, de mettre au travail la notion d’ambiance en l’inscrivant dans un dispositif collaboratif, et d’approcher la thématique des ambiances architecturales et urbaines en s’intéressant aux écarts et déplacements qu’elle convoque.
Mais encore, en thématisant l’ambiance en termes de traduction, nous affirmons un triple positionnement :
- Nous nous situons au croisement des mondes scientifiques, opérationnels et artistiques. Les traductions qui seront entreprises dans le projet s’appuieront sur les acquis de savoirs, méthodes et ressources issus de ces trois mondes.
- La posture générale adoptée peut être définie de pragmatiste. C’est au moyen d’expérimentations que nous souhaitons travailler sur les ambiances, en nous intéressant aux effets produits, conséquences et circulations d’une telle notion.
- La problématique de la traduction fonctionne à la fois comme une entrée dans la thématique des ambiances et comme un principe du travail collaboratif à entreprendre. Le dispositif méthodologique retenu consistera précisément à se « mettre en traduction ».
Cette entrée par la « traduction » peut être déclinée selon quatre plans :
Traduction linguistique : clarification de la notion d’ambiance
Cette première modalité de traduction consiste à rechercher des équivalents dans d’autres langues au terme français d’ambiance. De toute évidence il n’existe pas de mot exactement identique à celui-ci en anglais, en italien, en danois ou encore en portugais… En procédant au travail de traduction, il s’agit ici de faire jouer l’écart entre les cultures et mettre au travail l’« hospitalité langagière » telle qu’en parle Paul Ricœur. Cette mise à l’épreuve de la langue étrangère suppose donc d’abandonner la fiction d’une traduction parfaite et littérale pour lui préférer une entreprise de reformulations successives. En cherchant des équivalents et en s’interrogeant sur la meilleure version possible, c’est à chaque fois un nouveau champ sémantique qui s’ouvre, une nouvelle manière de découper le réel qui apparaît, nécessitant de clarifier autant que possible les acceptions du terme « ambiance » et révélant par là même les potentialités et limites du mot français. En bref, le passage par la traduction linguistique devient un moyen heuristique de déconstruire cette notion, de mettre en évidence ce qu’elle contient d’implicite, de faire apparaître des ressources jusqu’alors inexplorées et d’ouvrir son aire de signification. Il s’agit donc ici de tenter de faire œuvre de clarification.
Traduction disciplinaire : exploration de passerelles scientifiques
Cette deuxième modalité de traduction consiste à construire les conditions d’un échange et d’un apport mutuel entre des champs disciplinaires distincts et pourtant tout aussi partie prenante de la thématique des ambiances. C’est ainsi que l’on peut se demander comment des modèles d’intelligibilité, des méthodes ou des écritures aussi différentes que celles issues de l’anthropologie sensible, de la modélisation informatique, de l’architecture, des études urbaines, de la physique appliquée ou encore du monde de l’art, peuvent chercher à s’entendre, à se rencontrer, voire à s’hybrider et à entrer dans un dialogue fécond autour du monde sensible. Ici, la notion interdisciplinaire d’effet sonore telle que développée au sein du laboratoire CRESSON peut sans doute servir de guide ou de référence pour mettre en place les conditions de ce dialogue. Cependant, il s’agira moins de chercher à construire ensemble un outil interdisciplinaire unique et achevé que d’explorer plus modestement divers ponts, terrains d’entente, et transversalités entre les démarches convoquées.
Traduction sensorielle : expérimentation d’expressions multimodales
Cette troisième modalité de traduction consiste à expérimenter des passages entre les sens. Un des points aveugles de la notion d’ambiance concerne la question de la plurisensorialité, mieux encore de l’intersensorialité in situ. De nombreux travaux ont été développés qui mettent l’accent sur une modalité sensible particulière : la lumière, le son, l’odeur, la chaleur… On peut alors se demander comment s’opère la relation entre diverses modalités sensorielles aussi bien en termes d’expérience habitante que de conception, comment une modalité est susceptible de s’articuler ou d’entrer en résonance avec une autre. Le lien audio-visuel est bien sûr celui qui vient le plus immédiatement à l’esprit (avec les ressources issues du cinéma en particulier) et il sera bien évidemment mobilisé. Mais nous ne souhaitons pas pour autant nous limiter au rapport image/son. D’autres modalités sensorielles toutes aussi importantes en termes d’ambiance seront considérées (odeur, chaleur par exemple), qui mettent à l’épreuve les moyens mêmes dont nous disposons pour les exprimer ou les représenter. Le monde de l’art devrait jouer un rôle important à cet égard.
Traduction professionnelle : prospection de modes opératoires
Cette quatrième modalité de traduction questionne les passages et les circulations possibles entre le monde de la recherche et celui de la conception architecturale et urbaine. Comment les divers acteurs en charge de la conception et de l’aménagement de l’espace se saisissent-ils du domaine des ambiances ? Quels sont les outils, les transferts, et les processus mobilisés pour rendre opératoire la notion d’ambiance dans de tels cadres professionnels ?
Il s’agit de se demander comment le domaine des ambiances se transforme et s’hybride dès lors qu’il est mis à l’épreuve de pratiques de conception et d’enjeux d’aménagement. Le propos consistera ici à s’appuyer sur l’expérience de chaque équipe pour mettre en perspective les divers contextes, pertinences et usages de la notion d’ambiance. Ce plan de traduction sera délibérément orienté vers une démarche prospective, à la recherche de nouveaux modes opératoires en matière de design.
Ces quatre niveaux de traduction sont au cœur du projet. En se situant entre les langues, entre les disciplines, entre les sens et entre les activités, nous mettons en place un dispositif d’enquête (au sens fort du terme) apte à intégrer la complexité du domaine des ambiances et la diversité scientifique et culturelle des équipes.
En nous orientant vers des opérations de clarification, d’exploration, d’expérimentation et de prospection, nous évaluons la possibilité d’une posture pragmatiste en matière d’ambiances. A cet égard, il s’agit moins de faire état d’un savoir constitué ou de s’arrêter à un modèle d’intelligibilité de l’ambiance que de mettre à l’épreuve un domaine de recherche et d’action en train de se faire.
Scientific Officers:
- Jean-Paul Thibaud, AAU-CRESSON, Graduate School of Architecture of Grenoble | International Ambiances Network
- Daniel Siret, AAU-CRENAU, Graduate School of Architecture of Nantes | International Ambiances Network
Support:
Réalisation audiovisuelle, Aurore Bonnet et Valerio Signorelli, sur une proposition de Jean-Paul Thibaud et Daniel Siret. Premier séminaire du GDRI-CNRS Ambiances en traduction, Réseau International Ambiances, Nantes, 9-12 septembre 2014. © Aurore Bonnet & Valerio Signorelli.
Le son de l’ambiance des langues
À l’invitation de Jean-Paul Thibaud et Daniel Siret, Aurore Bonnet et Valerio Signorelli ont mené une expérience audiovisuelle en compagnie de quelques membres du Réseau International Ambiances lors du premier séminaire du GDRI « Ambiances en traduction ». Neuf personnes ont été sollicitées pour lire le même extrait des Notes sur la mélodie des choses de Rainer Maria Rilke, chacune dans sa propre langue. Ce qui a donné lieu à des enregistrements sonores et vidéo. Afin de restituer ces expériences individuelles et cette expérience commune, mais aussi pour proposer un « certain regard » (audio-visuel) sur le son de l’ambiance des langues et l’exercice au corps d’une lecture dans l’espace public, voilà une version de diffusion, à destination de la communauté animée par la recherche sur les ambiances architecturales et urbaines.
Ce montage prend le parti de restituer l’originalité de cette expérience en trois temps et donc d’amener l’attention à se porter sur les voix et l’engagement corporel de ceux qui, par elles, doivent « attaquer » pour prendre place dans différents environnements urbains.
Polyphonies
Une voix qui émerge de l’attente curieuse et silencieuse, une voix qui amorce en suspension une expression : une personne qui ose prendre la parole toute en retenue jusqu’à ce que s’élève un mélange de voix, déclamant collégialement, chacune dans sa propre langue, le seizième paragraphe de Notes sur la mélodie des choses de Rainer Maria Rilke. Dans ce « contexte métabolique* », les propos sont indistincts, mais les rythmes et sonorités des neufs langues modulent cette nappe sonore, activent son épaisseur, ses reliefs, livrent petit à petit à l’unisson une mélodie de quelques secondes, celle d’un paragraphe, un mouvement oral.
Une seconde variation tente d’amorcer l’appréhension de ces sonorités, tout en laissant entrevoir les propos du texte repris trois fois. À l’écoute de chaque langue inspirées par les réflexions initiatiques du texte, nous devenons soudain polyglotte, lecteur-interprète d’italien, de français, d’espagnol, d’allemand, d’anglais, de danois, de portugais, de grec, d’arabe.
Mélodie des corps
Avec l’image vidéo, se surimpose le son de l’environnement urbain. Une caméra, qui filme en très gros plan, est en train de poser son cadre sur un visage dont les lèvres épellent à voix basse le texte. La tête dodeline un acquiescement en direction d’une voix hors champ qui donne quelques recommandations et pour qui le regard se détourne brièvement.
La sirène d’un véhicule d’urgence, le bourdonnement d’un hélicoptère en train de décoller, la Loire qui s’écoule en arrière plan.
Le cadre change (de latéral à frontal) et s’élargit en plan américain. À partir de là et en même temps que nous nous installons pour réaliser les enregistrements vidéo et audio de l’expérience que nous leur proposons, nous avons cherché à capter les manières qu’ont eu chacun de prendre place dans l’environnement urbain et répondre ainsi à l’appel du texte – et du dispositif qu’il a inspiré – de livrer une lecture dans l’ample mélodie nantaise.
« Que ce soit le chant d’une lampe ou bien la voix de la tempête, que ce soit le souffle du soir ou le gémissement de la mer, qui t’environne – toujours veille derrière toi une ample mélodie, tissée de mille voix, dans laquelle ton solo n’a sa place que de temps à autre. Savoir à quel moment c’est à toi d’attaquer, voilà le secret de ta solitude : tout comme l’art du vrai commerce c’est : de la hauteur des mots se laisser choir dans la mélodie une et commune. » Rainer Maria Rilke, Notes sur la mélodie des choses (XVI).
Une mise en corps de l’oralité, car le texte de Rilke parle aussi de cette médiation corporelle pour donner à la voix son espace dans la mélodie des choses. C’est la part la plus importante que nous choisissons de donner à voir dans ce projet audiovisuel. L’exercice est difficile, la situation périlleuse : seul-e, cerné-e, surexposé-e, dans la ville qui n’attend pas, ni n’entend. Se mettre en projet. Chacun, par sa présence, trouve la parade, déploie de petits gestes : attendre, écouter, observer les émergences sonores et lumineuses, tenir contenance en ajustant ses vêtements, sa coiffure, répondre aux sollicitations de réglage du matériel, interpeller ceux qui l’ont entrainé là, chercher ses appuis, s’ancrer tout en luttant contre la rigidité de son corps. Bafouiller, s’interrompre, recommencer. Sourire, rire, s’élancer avec humour et dérision.
Le son de l’ambiance des langues
Dès lors que chacun de la hauteur des mots s’est laissé choir : après que le texte a été répété dans les neufs langues et que le dispositif a été apprivoisé par chacun ; au moment de restituer cette expérimentation et sa mélodie polyphonique dans ce troisième temps du montage, nous avons choisi que l’audio se joue des voix que l’image laisse attendre, qu’il se joue des sonorités du dispositif, qu’il brouille et ouvre d’autres pistes, qu’il se distancie soudain des personnes rencontrées dans l’expérience et qui ont incarnées une langue pour enfin laisser entendre cette mélodie une et commune, cette mélodie des choses.
* En référence à l’ « effet de métabole » : « Effet perceptif sonore décrivant les relations instables et métamorphiques entre les éléments composant un ensemble sonore. (…) En grec ancien, le mot metabolos signifie ce qui est changeant, quelque chose qui est en métamorphose. Ici, le changement considéré affecte le rapport des éléments qui composent l’environnement sonore, celui-ci pouvant se définir comme l’addition et la superposition de sources multiples entendues simultanément. » Jean-François Augoyard, Henry Torgue (eds.), A l’écoute de l’environnement. Répertoire des effets sonores. Editions Parenthèses, 1995, p 86-91.
Métadonnées
Titre : Le son de l’ambiance des langues
Durée : 13’46
Réalisation audiovisuelle : © Aurore Bonnet & Valerio Signorelli
Sur une proposition de : Jean-Paul Thibaud et Daniel Siret
Contexte : Premier séminaire du GDRI-CNRS Ambiances en traduction, Réseau International Ambiances
Lieu : Nantes (FR)
Date : 9-12 septembre 2014
Dispositif technique
2 caméras : une caméra mobile qui enregistre en très gros plan, dédiée aux expressions fines des personnes (regards, sourires, respiration) ; une caméra sur trépied qui enregistre en plan américain et capte la mise en corps de l’expérience, les gestes et interactions.
2 prises de son additionnelles : un micro cravate porté par le lecteur ; un micro directionnel sur pied associé à la caméra fixe.
4 lieux dans la ville de Nantes : les bords de Loire au pied du pont de la Duchesse Anne, la place Graslin, la terrasse et la place centrale de l’école nationale supérieure d’architecture de Nantes.
9 langues : allemand, anglais, arabe (Égypte), danois, espagnol, français, grec, italien, portugais (Brésil).
48 heures : temps imparti pour réaliser et livrer la première version de cette exploration audiovisuelle (captation, montage et diffusion lors du séminaire).
Contacts
valerio.signorelli@cerma.archi.fr
Mardi 9 Septembre 2014
Séminaire du GDRI Ambiances en traduction
9h | Accueil |
9h15 | Mot de bienvenue (Christian Dautel, directeur ENSAN) – Présentation du GDRI CNRS, enjeux et organisation du séminaire (Jean-Paul Thibaud & Daniel Siret) |
9h45 | Tour de table des équipes membres du GDRI, présentation de leurs thématiques de recherche et de leurs attentes :
Présentation des participants hors du GDRI. |
11h | Pause |
11h30 | Champ sémantique couvert par la notion d’Ambiance en Français et dans la recherche sur l’architecture et les environnements urbains |
12h | Expérience : le son de l’ambiance des langues (Aurore Bonnet & Valerio Signorelli, avec Noha Saïd, Barbara Piga, Niels Albersten, Cristiane Duarte, Rainer Kazig, Ignacio Requena-Ruiz, Nicolas Rémy, Céline Drozd, Omar Faleh) |
12h30 | Déjeuner sur place |
14h | Communications « Traductions linguistiques » (Chair. Nicolas Tixier) :
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16h | Pause |
16h30 | Workshop : présentation des terrains, organisation et attentes (Jean-Paul Thibaud & Daniel Siret) |
17h | Workshop : immersions dans 3 ambiances urbaines nantaises et début du travail de restitution par groupes |
20h | Diner (restaurant « Lieu Unique ») |
Mercredi 10 Septembre 2014
Séminaire du GDRI Ambiances en traduction (suite)
9h | Accueil |
9h15 | Workshop : suite de la préparation des restitutions par groupe |
10h15 | Présentation des restitutions sur le 1er terrain (Chair. Pascal Amphoux & Mario Côté) |
10h45 | Pause |
11h15 | Présentation des restitutions sur le 2ème terrain (Chair. Pascal Amphoux & Barbara Piga) |
11h45 | Présentation des restitutions sur le 3ème terrain (Chair. Pascal Amphoux & Fabiana Dultra Britto) |
12h15 | Bilan du workshop (Pascal Amphoux) |
12h30 | Déjeuner sur place |
14h | Restitution libre de la captation du son de l’ambiance des langues (Aurore Bonnet & Valerio Signorelli) |
14h30 | Synthèses des travaux du séminaire par les rapporteurs (Carolina Rodríguez, Laurent Devisme, Christine Guillebaud) |
15h30 | Discussion sur les apports du séminaire et modalités de rédaction des résultats (Chair. Jean-Paul Thibaud & Daniel Siret) |
16h | Pause |
16h30 | Perspectives du GDRI pour 2015 à Montréal (Mario Côté, Claude Demers) |
17h | Fin du premier séminaire du GDRI |
17h30 | Visite de l’école d’architecture de Nantes |
20h | Diner (restaurant « La Cigale ») |
Jeudi 11 Septembre 2014
Le Réseau International Ambiances : bilan, projets et gouvernance
9h00 | Accueil |
9h15 | Présentation du réseau, membres du comité de pilotage et des équipes, exposé des enjeux de la journée (Jean-Paul Thibaud) |
10h | Bilan des actions 2008-2014 (Daniel Siret) |
10h30 | Pause |
11h | Projets d’actions futures et discussion sur le fonctionnement actuel du réseau (Chair. Damien Masson) |
12h30 | Déjeuner sur place |
14h | Préparation du 3ème Congrès International sur les Ambiances, Volos, Grèce, 2016 (Nicolas Rémy & Nicolas Tixier) |
16h | Pause |
16h30 | Débat sur la gouvernance du réseau et son évolution institutionnelle (Chair. Jean-Paul Thibaud, Daniel Siret) |
17h30 | Bilan de la journée (Chair. Ignacio Requena-Ruiz) |
18h | Fin de la réunion du réseau |
20h | Diner (restaurant « Plan B ») |
Vendredi 12 Septembre 2014
La revue Ambiances : présentation et perspectives
9h | Accueil |
9h30 | Présentation de la revue Ambiances, objectifs et organisation (Nathalie Simonnot, Thomas Leduc, Anthony Pecqueux, Daniel Siret) |
10h | Bilan des publications depuis mars 2013 |
10h30 | Pause |
11h00 | Appel à articles et projets de dossiers thématiques |
11h30 | Communication et diffusion |
12h30 | Déjeuner et après-midi libres |
Participants |
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Bilan du 1er séminaire du GDRI
Ambiances en traduction : traductions linguistiques
Jean-Paul Thibaud
Ce bilan s’appuie sur les diverses contributions et les nombreux débats tenus au cours des deux journées. Que tous les participants à ce séminaire soient remerciés ici.
D’autres documents écrits devraient étayer pour largement ce bilan, issus des communications scientifiques elles-mêmes, des synthèses effectuées en fin de séminaire, du travail de workshop et de l’expérience sur la musique des langues.
52 personnes ont pris part au séminaire, représentant 10 pays différents.
Le séminaire s’est déroulé dans deux langues principales (non exclusives) : français et anglais.
Cadrage du séminaire
L’objectif principal de ce premier séminaire du GDRI était de mettre le terme « ambiance » à l’épreuve des traductions linguistiques. Cette première modalité de traduction consiste à rechercher des équivalents dans d’autres langues au terme français d’ambiance. De toute évidence il n’existe pas de mot exactement identique à celui-ci en arabe, en italien, en danois, en portugais-brésilien… En procédant au travail de traduction, il s’agit de faire jouer les écarts entre les cultures et entre les langues, d’apprendre des écarts, et de mettre au travail l’« hospitalité langagière » telle qu’en parle Paul Ricœur. Cette mise à l’épreuve de la langue suppose d’abandonner la fiction d’une traduction parfaite et littérale pour lui préférer une entreprise de reformulations successives. En cherchant des équivalents et en s’interrogeant sur la(les) meilleure(s) version(s) possible, c’est à chaque fois un nouveau champ sémantique qui s’ouvre, une nouvelle manière de découper le réel qui apparaît, nécessitant de clarifier autant que possible les acceptions du terme « ambiance » et révélant par là même les potentialités et limites du mot français. En bref, le passage par la traduction linguistique devient un moyen heuristique de déconstruire cette notion, de mettre en évidence ce qu’elle contient d’implicite, de faire apparaître des ressources jusqu’alors inexplorées et d’ouvrir son aire de signification. Il s’agit donc ici de faire œuvre de clarification.
Déroulement du séminaire
Le séminaire s’est appuyé sur trois actions complémentaires :
- Un ensemble de communications scientifiques et de discussions sur la traduction du terme ambiance dans les langues (allemand, arabe, danois, espagnol, français, grec, italien, portugais-brésilien). Le travail de traduction en anglais avait aussi été prévu mais n’a pu être présenté, dû à un empêchement de la personne en charge de cet exercice.
- Un workshop où étaient explorées in situ et restituées collectivement trois ambiances nantaises (mémorial de l’esclavage, parking des machines, jardin des fonderies).
- La musique des langues, une expérience de lecture collective d’un fragment de Rainer Maria Rilke dans l’ensemble des langues représentées durant le séminaire (Notes sur la mélodie des choses – §16).
L’exercice de la traduction
Pour répondre à la demande qui avait été faite de réfléchir à la traduction du terme « ambiance » dans une autre langue, une grande diversité de manières de travailler sur les traductions a été mise en œuvre : élaborer un réseau ou un cluster sémantique, revenir à l’étymologie, dégager quelques grandes acceptions du terme, s’appuyer sur la littérature, explorer les usages courant des mots, s’appuyer sur des dictionnaires, questionner l’idée même de traduction.
D’un tel exercice, il est possible de tirer plusieurs enseignements et pistes à développer :
- Un fond commun semble se dégager dans les langues indo-européennes, à partir d’un ensemble de termes que l’on retrouve sous une forme ou une autre : atmosphère/atmosfera/ atmosfære/atmosphere/Atmosphäre ; environnement/ambiente/omgivelser/environment ; climat/clima/ Klima/climate. Constat de similarités en terme lexical, de ressemblances de famille entre les langues et d’étymologies partagées (en partie pour les langues latines). L’ambiance n’est donc pas un signifiant complètement ‘flottant’.
- Dans les langues latines, les mots formés à partir du latin ambire prennent des acceptions sensiblement différentes et se déclinent de différentes manières selon les langues : en portugais existent à la fois ambiente (proche de l’environnement objectivable) et ambiência (renvoyant davantage à l’expérience corporelle), en espagnol ambiente se décline à la fois en nom, adjectif et verbe… Il ne faut donc pas seulement considérer le mot pris isolément mais plus largement le système lexical dans lequel il s’inscrit.
- Des termes plus singuliers, remarquables – voire intraduisibles – ont été identifiés, qui mériteraient un travail à part entière : hygge (danois), barzakh (arab), Stimmung (allemand) et Stemming (danois) auquel pourraient se rajouter mood (anglais) ou ma (japonais). D’autres termes seraient également intéressants à approfondir tels entorno (espagnol), momento et vibrazioni (italien). Certains termes utilisés dans une langue – par exemple entorno en espagnol – nous invite à revisiter la traduction française (l’entour, les entours). Sur un autre plan, le terme sensible présente un intérêt évident pour réfléchir à la notion d’ambiance dans les langues.
- La recherche de comparables nécessite de préciser l’environnement du mot lui-même : en arabe, le choix de la traduction nécessite de considérer si le mot sera utilisé au singulier ou au pluriel ; en grec, il est nécessaire de compléter le mot (par la modalité sensible : son, lumière,…) pour le préciser et lui conférer un rapprochement possible avec le terme ambiance.
- Il est souvent mis en avant le latin ambire pour faire valoir le caractère immersif et enveloppant de l’ambiance. Deux autres entrées importantes mériteraient d’être mises en avant et approfondies. D’une part, le rapport à la voix et à la tonalité qui apparaît en particulier avec Stimmung (allemand) et Stemming (danois). D’autre part l’idée importante d’in-between/entre-deux que l’on peut relever aussi bien dans le terme barzakh (arab), antariksham dans la langue Malayalam (sanskrit) ou dans le ma (japonais).
Revisiter la traduction linguistique
La mise en œuvre de traductions linguistiques du terme ambiance pose de nombreuses questions fondamentales et ne peut faire l’économie d’une réflexion plus générale sur le langage. De nombreuses positions et perspectives ont été proposées, qui pointent du doigt la complexité et les limites de l’exercice de traduction proposé.
- Sans doute est-ce un danger que de trop chercher à autonomiser le mot ambiance, au risque d’aboutir à de « l’entente dans le malentendu » (Wittgenstein). Il faut garder à l’esprit qu’un mot n’a de sens qu’en contexte, que rapporté à un système lexical, à un ensemble de discours, à un dispositif de catégorisation, à une situation d’énonciation, à un contexte socio-historique donné, etc.
- Remarquons par ailleurs la plasticité du langage : évolution du terme ambiance dans le temps, création de néologismes (ambiancer, ambianceur), diffusion différenciée du terme selon les langues (par exemple, le terme ambiance semble davantage se diffuser dans des textes anglais académiques que dans des textes américains académiques). Les termes ont une vie et une carrière en tant que telle (la notion d’ambiance est d’ailleurs particulièrement à la mode actuellement – il faudrait s’interroger sur une telle mode).
- Si l’on s’intéresse aux traductions linguistiques, il faut intégrer divers phénomènes constitutifs des langues elles-mêmes : la diglossie où se mélangent plusieurs langues (on l’a vu avec le tunisien-français – une expression intéressante à cet égard : « tu frances bien »), le contexte socio-historique qui affecte le fonctionnement interne de la langue, la non-superposition du portugais et du brésilien, de l’anglais et de l’américain, de l’espagnol et du latino-américain, les compétences différenciées entre locuteurs, le fonctionnement asymétrique des langues lié au colonialisme, la matière sensible du langage lui-même (verbal/non-verbal, écriture, murs de la ville, ordinateur, corps et tatouage,…). Tout cela plaide pour la relativisation d’une approche purement lexicale. Encore plus généralement, peut-on se passer d’une thématisation du corps dans cet exercice de traduction des ambiances (cf. un rendu de workshop qui a proposé une véritable performance pour rendre compte de l’expérience in situ d’une ambiance nantaise) ?
- De telles réflexions débouchent sur plusieurs pistes de travail possibles concernant la traduction linguistique. Retenons-en deux. D’une part, une enquête sur les usages, valeurs, situations et conditions d’émergence du terme ambiance dans le langage courant. Bref, comment une terminologie émerge des conversations courantes et des situations d’interaction ordinaires (peut-être sommes-nous proche ici de l’analyse conversationnelle). D’autre part, une ethnographie des pratiques de traduction pour laquelle il s’agirait d’observer les traducteurs eux-mêmes et ce qui se passe durant leur activité professionnelle. Plus largement, il s’agirait de mieux comprendre à quels jeux de langage se prête la thématique des ambiances et quels en sont les conséquences.
Ouverture à d’autres questions
Les discussions sur la traduction ont donné lieu à d’autres questions qui impliquent la conception même que nous développons de la thématique des ambiances. Plusieurs points fondamentaux ont été évoqués qui pourraient se poursuivre d’une manière ou d’une autre dans les séminaires à venir.
- On se demande à quel type de catégorie on a affaire avec le terme ambiance. A-t-on affaire à une notion, un concept, un domaine de recherche, un paradigme…? Dans le même ordre d’idée se pose la question du passage entre le langage ordinaire et le langage scientifique (selon les langues, les usages diffèrent entre langage courant et/ou spécialisé). Entre ces deux versants, il y a bien sûr des liens mais également des différences.
- Le rapport tendu entre mot et concept nous rappelle l’existence de présupposés culturels, épistémologiques et théoriques constitutifs des manières de penser l’ambiance. On pourrait tenter de clarifier ce qu’ambiance veut dire pour la phénoménologie, le pragmatisme, le matérialisme historique… afin d’expliciter autant que possible des positionnements et des articulations. Il s’agirait de travailler sur les frontières et les passerelles, de travailler « entre », aux passages entre le mot et le concept.
- Dans le même ordre d’idée, il serait intéressant de mettre en évidence les styles scientifiques de chacun en faisant état des pourparlers que nous entretenons avec quelques grands auteurs de référence. Des auteurs comme Goffman, Heidegger ou Böhme ont été mentionnés. Une référence d’importance se prêterait tout particulièrement à une discussion collective car très directement liée à la thématique de ce GDRI : comment nous situons-nous vis-à-vis de l’actor-network theory (ANT) à la Bruno Latour par exemple. Une telle sociologie de la traduction ne mériterait-elle pas une réflexion collective approfondie ? (d’autant que ambiance et traduction sont dans un rapport de co-constitution, que les géographes anglais s’inspirent beaucoup de l’ANT pour thématiser la notion d’atmosphère, et qu’il existe déjà une proposition ANT autour des atmosphères – cf. Making Things Public).
- Deux sujets de discussion fondamentaux ont été à peine ébauchés. D’une part, concernant la dimension pré-linguistique de l’expérience d’une ambiance. On peut soutenir le caractère irréductible au langage de l’expérience corporelle constitutive d’une ambiance, ou bien souligner que les sens ne sont pas séparables des significations et du langage. Doit-on situer le langage au niveau de la représentation consciente ou bien mettre plutôt l’accent sur la dimension historique constitutive du fonctionnement d’une langue ? D’autre part, que fait-on de la question de l’empathie dans cette thématique des ambiances et comment cette question entre-t-elle en dialogue avec la reconnaissance de divergences, controverses et dissensus inhérents à toute vie sociale ?
So what ?
(Miles Davis)
A plusieurs reprises, la question a été posée de l’apport, des conséquences et de la finalité d’un tel travail sur les traductions linguistiques. Ne prend-on pas le risque d’un exercice par trop scholastique ? Un tel questionnement nous permet-il d’avancer dans nos recherches ? Une posture pragmatiste en termes d’ambiance ne pourrait-elle pas nous aider à travailler sur les effets et les modes opératoires d’un tel domaine ?
- Comme a pu le montrer un travail précédent (cf. « L’aventure des mots de la ville », collectif autour de Christian Topalov), les mots de la ville ne font pas que la décrire mais contribuent aussi à la constituer. Le travail sur les traductions linguistiques permet de reconnaître et de mettre en jeu la puissance performative du langage. Loin d’être neutres ou sans conséquences, les mots participent à part entière de la construction des problématiques, des positionnements, aussi bien que des environnements sur lesquels nous travaillons. Les traductions linguistiques en matière d’ambiance permettent en particulier de mettre en perspective notre propre rapport sensible à la ville (en développant de nouvelles catégories et de nouvelles attentions au monde environnant) ; elle mettent également à l’épreuve l’apparente évidence du langage que nous utilisons.
- Plus concrètement, c’est le rapport entre mot et espace qui a été discuté. En analyse de discours le lien langage-espace est indissociable. Diverses questions ont été posées. Travailler ensemble sur l’ambiance signifie-t-il que nous partageons une même conception de l’espace ? Qu’est-ce que la notion d’ambiance cache, sous-tend ou implique en terme spatial ? Qu’est-ce que l’ambiance peut nous dire de nouveau sur les processus de spatialisation, de production de l’espace (urbain) et dans quelle mesure permet-elle d’intervenir différemment dans l’espace public ? Comment ce travail sur la traduction permet-il de faire retour sur des questions proprement urbaines (par exemple avec les idées de limitless city, de informal settlements) ? Ne devrait-on pas expliciter davantage les articulations entre analyse et conception (ce qui sera l’objet du 4ème séminaire) ? Mais encore, qu’est-ce que les processus actuels de production d’ambiances révèlent des évolutions urbaines actuelles (marchandisation, patrimonialisation, privatisation, standardisation,…) ?
- Finalement, comment ce travail collectif sur la traduction affecte nos propres recherches ? Quelle place a ce travail pour chacun d’entre nous ? Qu’est-ce que chacun tire de cet exercice de traduction dans ses propres travaux ? Qu’est-ce que ce séminaire apporte à chaque discipline quand on y revient après-coup ? Quelles conséquences ont ces différences entre les langues dans les recherches sur les ambiances ?
De nombreuses questions ont été ouvertes qui ne se limitent pas à des questions purement lexicales ou même linguistiques mais s’ouvrent à des discussions d’ordre théorique, conceptuel, méthodologique et pratique. Les séminaires à venir du GDRI pourraient se saisir de telles questions.